Paul Claudel

Connaissance de l'Est, 1907


Le Sédentaire

J’habite le plus haut étage et le coin de la demeure spacieuse et carrée. J’ai encastré mon lit dans l’ouverture de la fenêtre, et, quand le soir vient, tel que l’épouse d’un dieu qui monte avec taciturnité sur la couche, tout de mon long et nu, je m’étends, le visage contre la nuit. À quelque moment soulevant une paupière alourdie par la ressemblance de la mort, j’ai mélangé mon regard à une certaine couleur de rose. Mais à cette heure, avec un gémissement émergeant de nouveau de ce sommeil pareil à celui du premier homme, je m’éveille dans la vision de l’or. Le tissu léger de la moustiquaire ondule sous l’ineffable haleine. Voici la lumière, dépouillée de chaleur, même, et me tordant lentement dans le froid délectable, si je sors mon bras nu, il m’est loisible de l’avancer jusqu’à l’épaule dans la consistance de la gloire, de l’enfoncer en fouillant de la main dans le jaillissement de l’éternité, pareil au frissonnement de la source. Je vois, avec une puissance irrésistible, de bas en haut déboucher l’estuaire de magnificence dans le ciel tel qu’un bassin concave et limpide, couleur de feuille de mûre. Seule la face du soleil et ses feux insupportables me chasseront de mon lit, seule la force mortelle de ses dards. Je prévois qu’il me faudra passer la journée dans le jeûne et la séparation. Quelle eau sera assez pure pour me désaltérer ? de quel fruit, pour en assouvir mon cœur, détacherai-je avec un couteau d’or la chair ?

Mais après que le soleil, suivi comme un berger par la mer et par le peuple des hommes mortels qui se lèvent en rangs successifs, a achevé de monter, il est Midi, et tout ce qui occupe une dimension dans l’espace est enveloppé par lame du feu, plus blanche que la foudre. Le monde est effacé, et les sceaux de la fournaise rompus, toutes choses, au sein de ce nouveau déluge, se sont évanouies. J’ai fermé toutes les fenêtres. Prisonnier de la lumière, je tiens le journal de ma captivité. Et tantôt, la main sur le papier, j’écris, par une fonction en rien différente du ver-à-soie qui fait son fil de la feuille qu’il dévore ; tantôt j’erre par les chambres ténébreuses, de la salle à manger, par le salon, ou un moment je suspends ma main sur le couvercle de l’orgue, à cette pièce nue, au centre de qui redoutablement se tient seule la table du travail. Et intérieur à ces lignes blanches qui marquent les fissures de ma prison hermétique, je mûris la pensée de l’holocauste ; ah ! s’il est enviable de se dissoudre dans l’étreinte flamboyante, enlevé dans le tourbillon du souffle véhément, combien plus beau le supplice d’un esprit dévoré par la lumière !

Et quand l’après-midi s’imprègne de cette brûlante douceur par qui le soir est précédé, semblable au sentiment de l’amour paternel, ayant purifié mon corps et mon esprit je remonte à la chambre la plus haute. Et, me saisissant d’un livre inépuisable, j’y poursuis l’étude de l’Être, la distinction de la personne et de la substance, des qualités et des prédicaments. Entre les deux rangées de maisons, la vision d’un fleuve termine ma rue ; l’énorme coulée d’argent fume, et les grands navires aux voiles blanches avec une grâce molle et superbe traversent la splendide coupure. Et je vois devant moi ce « Fleuve » même « de la Vie », dont jadis, enfant, j’empruntais l’image aux discours de la Morale. Mais je ne nourris plus la pensée aujourd’hui, nageur opiniâtre, d’atterrir parmi les roseaux, le ventre dans la vase de l’autre rive : sous la salutation des palmes, dans le silence interrompu par le cri du perroquet, que la cascade grêle derrière le feuillage charnu du magnolia claquant sur le gravier m’invite, que le rameau fabuleux descende sous le poids des myrobolans et des pommes-grenades, je ne considérerai plus, arrachant mon regard à la science angélique, quel jardin est offert à mon goûter et à ma récréation.


Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Ρоzzi : Νух

Ο’Νеddу : Μаdоnnа соl bаmbinо

Соppéе : Un fils

Соppéе : «À Ρаris, еn été...»

Τhаlу : L’Îlе lоintаinе

Vеrlаinе : Éсrit еn 1875

Fаrguе : Ιntériеur

Jаmmеs : Quаnd vеrrаi-је lеs îlеs

Vеrlаinе : À Gеrmаin Νоuvеаu

Соppéе : Ρеtits bоurgеоis

Hugо : «Jеunеs gеns, prеnеz gаrdе аuх сhоsеs quе vоus ditеs...»

Fоurеst : Un hоmmе

☆ ☆ ☆ ☆

Klingsоr : L’Αttеntе inutilе

Τhаlу : Εsсlаvаgе

Соppéе : Τristеmеnt

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur «Τоut lе pаrfаit dоnt lе сiеl nоus hоnоrе...» (Du Βеllау)

De Сосhоnfuсius sur Sоnnеt rоmаntiquе (Riсhеpin)

De Сосhоnfuсius sur «Un јоur, quаnd dе l’hivеr l’еnnuуеusе frоidurе...» (Βаïf)

De Xi’аn sur Sоnnеt : «Νоn, quаnd biеn mêmе unе аmèrе sоuffrаnсе...» (Μussеt)

De Rоzès sur Εsсlаvаgе (Τhаlу)

De Jаdis sur Épitаphе d’un сhiеn (Μаllеvillе)

De Сurаrе- sur Lе Lаit dеs сhаts (Guérin)

De Jаdis sur «Αh ! Sеignеur, Diеu dеs сœurs rоbustеs, répоndеz !...» (Guérin)

De Jаdis sur Splееn : «Jе suis соmmе lе rоi...» (Βаudеlаirе)

De Ιо Kаnааn sur Сrоquis (Сrоs)

De Сurаrе- sur À un sоt аbbé dе quаlité (Sаint-Ρаvin)

De Τristаn Βеrnаrd sur Lеs Соnquérаnts (Hеrеdiа)

De Lа Μusérаntе sur Sоnnеt dе Ρоrсеlаinе (Viviеn)

De Dаmе dе flаmmе sur «Du tristе сœur vоudrаis lа flаmmе étеindrе...» (Sаint-Gеlаis)

De Сurаrе- sur «С’еst оrеs, mоn Vinеus, mоn сhеr Vinеus, с’еst оrе...» (Du Βеllау)

De Wеbmаstеr sur Lа Ρеtitе Ruе silеnсiеusе (Fоrt)

De Dаmе dе flаmmе sur «Τоi qui trоublеs lа pаiх dеs nоnсhаlаntеs еаuх...» (Βеrnаrd)

De Xi’аn sur Μirlitоn (Соrbièrе)

De Xi’аn sur «Αimеz-vоus l’оdеur viеillе...» (Μilоsz)

De krm sur Vеrlаinе

De Сurаrе= sur Οisеаuх dе pаssаgе (Riсhеpin)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе