Paul Claudel

Connaissance de l'Est, 1907


L’Entrée de la terre

Plutôt que d’en assaillir le flanc de la pointe ferrée de mon bâton, j’aime mieux voir, de ce fond plat de la plaine où je chemine, les montagnes autour de moi dans la gloire de l’après-midi siéger comme cent vieillards. Le soleil de la Pentecôte illumine la Terre nette et parée et profonde comme une église. L’air est si frais et si clair qu’il me semble que je marche nu, tout est paix. On entend de toutes parts, comme un cri de flûte, la note à l’unisson des norias qui montent l’eau dans les champs (trois par trois, hommes et femmes, accrochés des bras à leur poutre, riants, la face couverte de sueur, dansent sur la triple roue), et devant les pas du promeneur s’ouvre l’étendue aimable et solennelle.

Je mesure de l’œil le circuit qu’il me faudra suivre. Par ces étroites chaussées de terre qui encadrent les rizières (je sais que, du haut de la montagne, la plaine avec ses champs ressemble à un vieux vitrail aux verres irréguliers enchâssés dans des mailles de plomb : les collines et les villages en émergent nettement), j’ai fini par rejoindre le chemin dallé.

Il traverse les rizières et les bois d’orangers, — les villages gardés à une issue par leur grand banyan (le Père, à qui tous les enfants du pays sont donnés à adoption), à l’autre, non loin des puits à eau et à engrais, par le fanum des génies municipaux, qui, tous deux, armés de pied en cap et l’arc au ventre, peints sur la porte tordent l’un vers l’autre leurs yeux tricolores ; et à mesure que j’avance, tournant la tête à droite et à gauche, je goûte la lente modification des heures. Car, perpétuel piéton, juge sagace de la longueur des ombres, je ne perds rien de l’auguste cérémonie de la journée : ivre de voir, je comprends tout. Ce pont encore à franchir dans la paix coite de l’heure du goûter, ces collines à gravir et à descendre, cette vallée à passer, et entre trois pins je vois déjà ce roc ardu où il me faut occuper maintenant mon poste et assister à la consommation de ceci qui fut un jour.

C’est le moment de la solennelle Introduction où le Soleil franchit le seuil de la Terre. Depuis quinze heures il a passé la ligne de la mer incirconscrite, et comme un aigle immobile sur son aile qui examine au loin la campagne, il a gagné la plus haute partie du ciel. Voici maintenant qu’il incline sa course et la Terre s’ouvre pour le recevoir. La gorge qu’il va emboucher, comme dévorée par le feu, disparaît sous les rayons plus courts. La montagne où a éclaté un incendie envoie vers le ciel, comme un cratère, une colonne énorme de fumée, et là-bas, atteinte d’un dard oblique, la ligne d’un torrent forestier fulgure. Derrière s’étend la Terre de la Terre, l’Asie avec l’Europe, l’élévation, au centre, de l’Autel, la plaine immense, et puis, au bout du tout, comme un homme couché à plat ventre sur la mer, la France, et, dans le fort de la France, la Champagne gautière et labourée. L’on ne voit plus que le haut de la bosse d’or et, au moment qu’il disparaît, l’astre traverse tout le ciel d’un rayon noir et vertical. C’est le temps où la mer qui le suit arrive et, se soulevant hors de son lit avec un cri profond, vient heurter la Terre de l’épaule.

Maintenant il faut rentrer. Si haut que je dois lever le menton pour la voir et dégagée par un nuage, la cime du Kuchang est suspendue comme une île dans les étendues bienheureuses, et, ne pensant rien d’autre, je marche la tête isolée de mon corps, comme un homme que l’acidité d’un parfum trop fort rassasie.


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