Antoine de Bertin


La Moisson


 
Ma maîtresse retourne à sa maison des champs.
Quel cœur barbare et dur peut rester à la ville ?
Fuyons ; dérobons-nous à sa pompe servile,
À ses frivolités, à ses discours méchants.
Loin des remparts poudreux qu’arrose en vain la Seine,
Courons des fruits vermeils admirer les couleurs,
Et, sous le frais abri des forêts de Vincenne,
Du Lion dévorant éviter les chaleurs.
Viens, l’autel est paré ; viens, la victime est prête ;
Descends du haut des cieux, bienfaisante Cérès ;
Prends ta faucille en main, et couronne ta tête
De bluets et d’épis, trésors de tes guérets.
Ô mes Lares, ce jour doit être un jour de fête ;
Des plus riants festons j’ornerai vos portraits.
Écartez loin de nous et la pluie et l’orage ;
D’un jour tranquille et pur éclairez nos moissons.
Voyez-vous ces vieillards, ces filles, ces garçons,
Tout un peuple courbé qui s’empresse à l’ouvrage,
Et détonne gaiement de rustiques chansons ?
Ils vont de rang en rang : sous leur main diligente
Déjà ces longs tuyaux, d’énormes grains chargés,
Tombent sur les sillons, en faisceaux partagés.
Le van chasse dans l’air une paille indigente ;
La terre au loin gémit sous l’effort des batteurs.
Vers le soir, au château la troupe cantonnée
Se délasse en riant du poids de la journée,
Et le plaisir succède à ces soins enchanteurs.
Amis, qu’attendez-vous ? Mêlons-nous à la danse
De ces pâtres joyeux, folâtrant sous l’ormeau :
Le flageolet aigu marque assez la cadence ;
Conduisons tour-à-tour les belles du hameau.
Qu’on tire cent flacons de la glace pilée ;
Versez-moi d’un vin frais qui ternit le cristal :
Je ne rougirai point, ce soir, dans la vallée
De vous suivre en tremblant et d’un pas inégal :
Tout sied à ce beau jour. Buvons à Catilie ;
Buvons à Nivernais ; buvons à Maillebois.
Et vous, soutien du trône, espoir de la patrie,
Mon protecteur, mon maître, auguste fils des rois,
Encouragez ma muse, et soutenez ma voix.
Je chante les jardins, et le dieu des campagnes,
Pan, qui jadis enfla des roseaux sous ses doigts,
Et, modulant des airs au penchant des montagnes,
Rassembla les mortels dispersés dans les bois.
C’est lui qui, le premier, au gland tombé des chênes
Fit succéder l’olive et les dons des vergers.
La feuille alors couvrit l’asile des bergers,
Et le sol altéré but les sources prochaines.
Alors on maria la vigne au peuplier ;
Sous les pressoirs rougis des flots de vin coulèrent ;
Le taureau sous le joug apprit à se plier,
Et sur un double essieu les chars pesants roulèrent.
Qui n’aimerait les champs ? Aux champs règne la paix ;
On y trouve un ciel pur, des ombrages épais ;
De moissons dans l’été, de fruits mûrs dans l’automne,
De bouquets au printemps l’humble pré se couronne.
Les vrais plaisirs aux champs ont fixé leur séjour :
On y craint plus les Dieux ; on y fait mieux l’amour.
L’amour même, entouré de coursiers indociles,
De troupeaux mugissants, dans un bocage est né.
De myrte et de jasmin son berceau fut orné.
Le pressant dans leurs bras, les nymphes trop faciles
N’osaient point corriger un enfant obstiné,
Qui déjà nuit et jour s’abreuvait de ses larmes.
C’est là qu’en grandissant il essaya ses armes.
Ses premiers traits, dit-on, se perdaient au hasard ;
Son arc et son carquois accablaient sa faiblesse.
Ciel, qu’amour a depuis profité dans cet art !
Je l’ai bien éprouvé. Malheur à ceux qu’il blesse !
Malheur même aux amants qu’il daignerait flatter !
C’est quand l’amour sourit qu’il est à redouter.
N’importe ! saisissons ses faveurs passagères ;
Hâtons-nous de jouir ; caressons nos bergères ;
Livrons-nous à leur foi, mais sans trop y compter.
 

Les Amours, 1780

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