Émile Bergerat

(1845-1923)

Un autrе pоèmе :

Βаllаdе pоur mеs mоrts

 

Émile Bergerat


Le Chant du crapaud


 

POÈME


 
Le chant du crapaud est très doux,
Mais d’une tristesse infinie,
Comme celle des chants hindous,
Car il sait son ignominie.
 
N’en doutez pas, son œil le dit,
Ce pauvre œil qui n’est qu’une larme,
Où danse l’éternelle alarme
De l’être faible, donc maudit !
 
Il sait qu’il a pour fin dernière
D’allégoriser le dégoût
Et qu’il fait honte au rat d’égout
Comme à la limace d’ornière ;
 
Que le Maître, à d’autres bénin,
Lui fixa la part inégale,
S’il a déjà, pour chair, la gale
D’y rouler, pour sang, le venin.
 
Il se rend compte de ces choses
Et que pour lui, dans aucun lieu
Céleste, il n’est, rebut de Dieu,
D’espoir en des métamorphoses !...
 
Tel il fut par Adonaï
Conçu pour l’effroi qu’il inspire,
De ses chefs-d’œuvre il est le pire :
Oh ! créé pour être haï !...
 
Être le type d’une race
Grotesque et lugubre à la fois,
Né d’un reste de boue aux doigts
Dont le Modeleur se décrasse !...
 
Il ne comprend rien à son sort
Et s’en plaint d’une voix si tendre
Que l’âme arrête pour l’entendre
Tous les tictacs de son ressort.
 
Écoutez, quand le crépuscule
Jette au silence son manteau,
Vagir le petit lamento
Les soirs brûlants de canicule !
 
C’est sous l’onde, humide tombeau
Où trempe déjà sa corbeille,
Le poupon mordu par l’abeille
Qui clame à sa mère : bobo !
 
Ou le son à figer les moelles
Qui traverse le monde obscur
Quand les anges, ivres d’azur,
Se blessent de l’aile aux étoiles ;
 
Ou bien le noël inouï
De l’amour s’il berçait la haine ;
Imaginez, dans la Géhenne,
Ceci : le damné disant : Oui !...
 
Ah ! ce chant du crapaud dans l’herbe
Aux derniers reflets du couchant,
Qu’il est douloureux et touchant !
Humanité, qu’il est superbe !
 
Aux réalistes importun,
Il émeut mon cœur romantique
Autant et plus que le Cantique
Des cantiques, — et c’en est un,
 
C’en est un dont voici le mythe :
Vêtu d’horreur, un Salomon
Y célèbre, dans le limon,
La crapaude, sa Sulamite.
 
Oyez ce que dit ce soupir :
« Viens, mon épouse et mon aimée,
La clarté s’est enfin calmée,
Et le méchant va s’assoupir.
 
« Jouissons de l’instant de trêve
Où, ses petits étant couchés,
Nos tristes yeux effarouchés
Peuvent luire sans qu’on les crève.
 
« Je les tenais clos dans mon trou
Au soleil puisqu’il te dérobe
Douze heures !... Viens, sors dans ta robe
De danseuse au joli froufrou !
 
« Que ce long jour me fut morose,
Ma bien-aimée, en ce sillon
Qui m’éclairait le papillon
Mourant aux lèvres de la rose !
 
« La rose est moins belle que toi,
Moins légères sont les gazelles,
Mais tous les deux ils ont des ailes !...
D’un mot, un seul, donne-les-moi !
 
« Dans l’ombre où s’efface la ferme
Les chiens ont cessé leurs abois ;
La lune électrise les bois ;
C’est notre heure, la fleur se ferme !
 
« Viens, si nous sommes les hideux
Pour ceux qu’il fit à son image,
L’Être Informe nous dédommage
Par le bonheur de l’être à deux !
 
« Il n’est qu’un crime, c’est de naître,
Et qu’une vertu, c’est d’aimer ;
La fonction, c’est d’essaimer ;
L’honneur en ce monde est d’en être !
 
« Viens, exaltons à deux genoux
Celui contre qui déblatère
Le seul être heureux sur la terre,
Reproduisons-nous, aimons-nous !
 
« Si ma vie est trois fois amère,
Je n’y maudis que tes retards ;
Ils seront beaux, viens, nos têtards,
Ils ressembleront à leur mère !... »
 
Voilà ce qu’exhale à la nuit
Le souffle qu’on ouït à peine,
Et, compatissante à sa peine,
La chouette aveugle y huit ;
 
Et la vipère, vieille amie,
Pour le consoler à son tour,
Siffle, bave et s’enroule autour
De sa fraternelle infamie ;
 
Et le loup-garou des sabbats,
Malgré la faim qui le harcèle,
Préfère sa misère à celle
Qui n’a point d’égale ici-bas ;
 
Et ceux de la tourbe, du soufre,
De la fange, — peuple initié
Par la torture à la pitié, —
Disent : « Voici celui qui souffre ! »
 
Est-ce tout ?... Ah ! ce bruit d’essieux !...
Grâce, tombereau qui l’écrases !...
Mais non, le héros rend sans phrases
Sa petite âme au roi des cieux !
 

La Lyre brisée

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Photo d'après : Hans Stieglitz