Un plus savant que moi, Paschal, ira songer
Avecques l’Ascréan dessus la double cime :
Et pour être de ceux dont on fait plus d’estime,
Dedans l’onde au cheval tout nu s’ira plonger.
Quant à moi, je ne veux, pour un vers allonger,
M’accourcir le cerveau : ni pour polir ma rime,
Me consumer l’esprit d’une soigneuse lime,
Frapper dessus ma table ou mes ongles ronger.
Aussi veux-je, Paschal, que ce que je compose
Soit une prose en rime ou une rime en prose,
Et ne veux pour cela le laurier mériter.
Et peut-être que tel se pense bien habile,
Qui trouvant de mes vers la rime si facile,
En vain travaillera, me voulant imiter.
Les Regrets, 1558
Commentaire (s)
Déposé par Cochonfucius le 8 septembre 2014 à 14h02
Avec mes vieux livres
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Le rimeur est heureux s’il parvient à songer
Au brillant firmament, à l’éternelle cime
Et à les faire voir en des vers qu’on estime ;
Mais au vaste lexique, il lui faudra plonger.
Les mots ne sont point là pour se faire allonger,
Assemblages entre eux sont avec ou sans rime ;
Ils ne sont point du bois que retouche une lime
Et pour les raccourcir, on ne peut les ronger
Poètes du passé, que ce soit rime ou prose,
Ce que les amateurs de ce siècle composent
Ne prétend nullement vos lauriers mériter ;
Une fois accompli l’exercice de style,
Pour finir, tu diras, ô plume malhabile,
Merci à Du Bellay, qui se laisse imiter.