Maintenant je pardonne à la douce fureur
Qui m’a fait consumer le meilleur de mon âge,
Sans tirer autre fruit de mon ingrat ouvrage
Que le vain passe-temps d’une si longue erreur.
Maintenant je pardonne à ce plaisant labeur,
Puisque seul il endort le souci qui m’outrage,
Et puisque seul il fait qu’au milieu de l’orage,
Ainsi qu’auparavant, je ne tremble de peur.
Si les vers ont été l’abus de ma jeunesse,
Les vers seront aussi l’appui de ma vieillesse,
S’ils furent ma folie, ils seront ma raison,
S’ils furent ma blessure, ils seront mon Achille,
S’ils furent mon venin, le scorpion utile
Qui sera de mon mal la seule guérison.
Les Regrets, 1558
Commentaire (s)
Déposé par Cochonfucius le 19 décembre 2013 à 10h16
Au début de sa vie, le poète chantonne,
Trouvant bonne saveur à chacun de ses jours ;
Il dit que les saisons ne sont point monotones,
Car chacune des quatre est le temps des amours.
Puis son printemps s’enfuit, son été l’abandonne,
Son ciel devient porteur de gros nuages lourds ;
Il s’aperçoit alors que c’est déjà l’automne
Et qu’il voit s’approcher la fin de son parcours.
Ce n’est pas pour si peu que son désir s’écroule,
Comme une forte nef, il ne craint point la houle ;
Il reste maître à bord de son monde flottant.
Son âme, vers la mort, restera printanière ;
De l’amour il tiendra bien haute la bannière,
Fredonnant ce poème en son dernier instant.
Ce n’est pas un oiseau de bruit et de fureur ;
Car il préfère à tout le silence et l’ombrage ;
Nos frères emplumés sont dispensés d’ouvrage,
Ne compte pas sur eux, ce serait une erreur.
Rien de plus beau, dis-tu, que le plaisant labeur ;
Mieux vaut entendre ça que d’entendre un outrage,
Mais ton propos en vain à bosser m’encourage,
Dit le merle, et pour rien tu parles, j’en ai peur.
Moi qui n’ai rien produit au temps de ma jeunesse,
Tu m’y inciterais en mes jours de vieillesse ?
Pour moi, le labeur n’a ni rime ni raison,
Hercule eut ses travaux comme talon d’Achille,
Un merle, en aucun cas, ne doit se rendre utile,
Mais profiter en paix de toutes les saisons.