Jean Auvray


Stances funèbres


 
[...] Qu’est-ce donc de la vie où l’homme se plaît tant ?
Ce n’est qu’une fumée ou qu’un ombre inconstant,
Une frêle vapeur, à l’instant consumée,
Un songe fabuleux, qui passe en un moment.
Quel fol est donc celui qui chérit tellement
Un songe, une vapeur, un ombre, une fumée ?
 
Mais qu’est-ce de la mort, que tout le monde craint,
Sinon le seul remède au mal qui nous étreint,
La retraite assurée après notre défaite,
Le port où nous cinglons, la paix de nos débats ?
Que malheureux est donc celui qui n’aime pas
Son remède, son port, sa paix et sa retraite.
 
La vie nous ourdit mille trames de maux,
La mort tranche le fil de nos fâcheux travaux,
La vie la plus juste est de vice suivie,
La mort brave l’effort du péché qui nous mord,
La vie est un passage à la première mort,
La mort est un passage à la seconde vie.
 
Qu’est-ce encor de ce corps que tant nous chérissons,
Sinon l’orde prison où trop nous languissons,
Le forçat impiteux qui nous met en la chaîne ?
C’est la gène pénible où l’âme vient souffrir,
C’est son propre bourreau : hé ! qui pourrait chérir
Son bourreau, son forçat, sa prison et sa gène ?
 
Ce corps n’est qu’un égout de la corruption,
Un cloaque rempli de toute infection,
C’est un relent fumier où le vice s’engendre,
Une poudre, une cendre, un sépulcre moisi.
Bref, j’appelle à bon droit ce corps qu’on flatte ainsi
Cloaque, égout, fumier, sépulcre, poudre et cendre.
 
Mais l’âme est au contraire un beau ciel de clarté,
Un céleste rayon de la divinité,
L’épouse de son Dieu, son amante gentille,
Sa fille et son amour. Ô coupable pécheur,
Comment oses-tu donc souiller de ton Sauveur
L’âme, l’amour, l’amante, et l’épouse et la fille ?
 
Aussi l’âme est vraiment l’image de son Dieu,
Comme il est tout en tout, et tout en chaque lieu,
Notre âme est toute au corps, et toute à ses parties,
Si Dieu meut le grand monde, elle meut le petit,
Si Dieu est un en trois, l’âme nous impartit
Trois distinctes vertus en une essence unies.
 
Mais l’âme est différente à son Dieu très parfait,
Autant que de la cause est différent l’effet,
Autant que le ruisseau de sa source diffère,
La créature encor d’avec son créateur,
L’image du sujet, l’œuvre de son auteur,
La ligne de son centre, et le point de sa sphère.
 
Ô le riche joyau que l’âme du chrétien,
Qui regarde toujours vers son souverain bien,
Comme un cadran de mer est tourné vers son pôle,
Qui laisse aux morts le soin et le souci des morts,
Et gaillarde secoue en la mort de son corps
Les fers de son servage, et dans le ciel s’envole !
 
Vole doncques, belle âme, objet de nos clameurs,
Moissonne dans le ciel le fruit de tes labeurs,
Nage à plein dans les eaux de la grâce infinie,
Heureuse de changer la terre pour le ciel,
Le travail au repos, l’absinthe pour le miel,
La guerre pour la paix, et la mort pour la vie.
 
Je te vois, ce me semble, aujourdhui caresser
Des astres et des cieux, les anges t’embrasser
Et chanter avec toi du Sauveur les louanges.
Ô comble des plaisirs ! Ah ! je te pri, dis-moi,
Quelle chose te manque, ayant avecque toi
Dieu, les astres, les cieux, les âmes et les anges ?
 

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