Aubigné


IV


 
Cessez noires fureurs, Érynnes inhumaines,
Esprits jamais lassés de nuire et de troubler,
Ingénieux cerveaux, inventeurs de mes peines :
Si vous n’entreprenez rien que de m’accabler,
Nous avons bientôt fait, car ce que je machine
S’accorde à vos desseins et cherche ma ruine.
 
Les ordinaires fruits d’un règne tyrannique
Sont le meurtre, le sac et le bannissement,
La ruine des bons, le support de l’inique,
L’injustice, la force et le ravissement :
On juge sans m’ouïr, je pleure, on me dénie
Et l’oreille et les yeux, est-ce pas tyrannie ?
 
Fière qui as dressé un orgueilleux empire
Sur un serf abattu, le courroux de ta main
Te ruine par moi et ce même martyre
Au Roi comme au sujet est dur et inhumain,
Car pour me ruiner, ta main aveugle et tainte
En mon sang m’est commune et la peine et la plainte.
 
Je vois qu’il n’est plus temps d’enfumer de querelles
Le ciel noirci, fâché de l’aigreur de mes pleurs,
Et moins faut-il chercher des complaintes nouvelles,
Ni remèdes nouveaux à mes nouveaux malheurs.
Quoi donc ? céder au sort est librement se rendre,
Et ne prolonger pas son mal pour se défendre !
 
On voit le cerf, fuyant une meute obstinée
À sa pénible mort, élancé pour courir,
S’être une fin plus longue et plus dure donnée
Que si dedans son lit il eût voulu mourir.
Non, je ne fuirai plus la mort, je la désire,
Et de deux grands malheurs je veux le moindre élire.
 
Ores que la pitié de la Parque amiable
D’un éternel sommeil me vient siller les yeux,
Quand la mort en pleurant de mon malheur m’accable,
L’esprit se plaint de toi, volant dedans les Cieux,
Et dit : vis en regret, vis coupable ennemie,
Autre punition tu n’auras que ta vie.
 
Tu diras aux vivants que ta folle inconstance
Te fit perdre celui qui de l’or de sa foi
Passa tous les humains, que tu perds l’espérance
En perdant serviteur si fidèle que moi,
Di à ceux qui vivront que mon amitié sainte
De rien que de la mort jamais ne fut éteinte,
 
Di encores à ceux qu’une chaleur nouvelle
Embrase d’amitié, que sages en mes frais
Ils fassent leur profit des plumes de mon aile,
Di aux dames aussi qu’elles songent de près
Au malheur qui les suit et que leur œil contemple
Ma fin et mes tourments pour leur servir d’exemple.
 
Quand mon esprit jadis sujet à ta colère
Aux Champs Élyséens achèvera mes pleurs,
Je verrai les amants qui de telle misère
Goûtèrent tels repos après de tels malheurs,
Tes semblables aussi que leur sentence même
Punit incessamment en Enfer creux et blême,
 
À quiconques aura telle dame servie
Avec tant de rigueur et de fidélité,
J’égalerai ma mort comme je fis ma vie,
Maudissant à l’envi toute légèreté,
Fuyant l’eau de l’oubli pour faire expérience
Combien des maux passés douce est la souvenance.
 
Ô amants échappés des misères du monde,
Je fus le serf d’un œil plus beau que nul autre œil,
Serf d’une tyrannie à nulle autre seconde,
Et mon amour constant jamais n’eut son pareil.
Il n’est amant constant qui en foi me devance,
Diane n’eut jamais pareille en inconstance,
 
Je verrai aux Enfers les peines préparées
À celles-là qui ont aimé légèrement,
Qui ont foulé au pied les promesses jurées,
Et pour chaque forfait, chaque propre tourment.
Dieux, frappez l’homicide, ou bien la justice erre
Hors des hauts Cieux bannie ainsi que de la terre !
 
Autre punition ne faut à l’inconstante
Que de vivre cent ans à goutter les remords
De sa légèreté inhumaine, sanglante.
Ses mêmes actions lui seront mille morts,
Ses traits la frapperont et la plaie mortelle
Qu’elle fit en mon sein re-saignera sur elle.
 
Lors son teint périssant et ses beautés perdues
Seront l’horreur de ceux qui transis l’adoraient,
Ses yeux déshonorés des prunelles fondues
Seront tels que les miens, alors qu’ils se mouraient,
Et de ses blanches mains, la poitrine offencée
Souffrira les assauts de la juste pensée.
 
Non, l’air n’a pas perdu ses soupirs misérables,
Moqués, meurtris, payés par des traîtres souris :
Ces soupirs renaîtront, viendront épouvantables
T’effrayer à minuit de leurs funestes cris ;
L’air a serré mes pleurs en noirs et gros nuages
Pour crever à minuit de grêles et d’orages.
 

Le Printemps

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