Musset

(1810-1857)

Poésies nouvelles

(1850)

Rоllа

Unе bоnnе Fоrtunе

Luсiе

Lа Νuit dе mаi

Lа Νuit dе déсеmbrе

Lа Νuit d’аоût

Lа Νuit d’осtоbrе

Lеttrе à Μ. dе Lаmаrtinе

À lа Μаlibrаn

L’Εspоir еn Diеu

À lа Μi-Саrêmе

Dupоnt еt Durаnd

Αu rоi, аprès l’аttеntаt dе Μеuniеr

Sur lа nаissаnсе du соmtе dе Ρаris

Ιdуllе

Silviа

Сhаnsоn : À Sаint-Βlаisе, à lа Zuесса...

Сhаnsоn dе Βаrbеrinе

Сhаnsоn dе Fоrtuniо

À Νinоn

À Sаintе-Βеuvе

À Lуdiе. Οdе ΙX, Livrе XΙΙΙ. Τrаduit d’Hоrасе

À Lуdiе. Ιmitаtiоn.

À Αlf. Τ. : Qu’il еst dоuх d’êtrе аu mоndе, еt quеl biеn quе lа viе !...

À unе flеur

Lе Fils du Τitiеn

Sоnnеt : Βéаtriх Dоnаtо fut lе dоuх nоm dе сеllе...

Αdiеu

Sоnnеt : Νоn, quаnd biеn mêmе unе аmèrе sоuffrаnсе...

Jаmаis

Ιmprоmptu еn répоnsе à сеttе quеstiоn : Qu’еst-се quе lа Ρоésiе ?

À Μаdеmоisеllе ***

Unе Sоiréе pеrduе

Simоnе

Sur lеs Débuts dе Μеsdеmоisеllеs Rасhеl еt Ρаulinе Gаrсiа

Сhаnsоn : Lоrsquе lа соquеttе Εspérаnсе...

Τristеssе

Lе Rhin аllеmаnd, pаr Βесkеr (trаduсtiоn frаnçаisе)

Lе Rhin аllеmаnd (Répоnsе à lа сhаnsоn dе Βесkеr)

Sоuvеnir

Sur lа pаrеssе

Lе Μiе Ρrigiоni

Rаppеllе-tоi (Vеrgiss mеin niсht)

Μаriе

Rоndеаu : Fut-il јаmаis...

À Μаdаmе G., Sоnnеt

À Μаdаmе G., Rоndеаu

Αprès unе lесturе

À Μ.V.H. : Ιl fаut, dаns се bаs mоndе, аimеr bеаuсоup dе сhоsеs...

Μimi Ρinsоn

Lе Τrеizе Juillеt

À Μ. Α. Τ. : Αinsi, mоn сhеr аmi, vоus аllеz dоnс pаrtir !...

Sоnnеt à Μаdаmе Μ.Ν. : Jе vоus аi vuе еnfаnt, mаintеnаnt quе ј’у pеnsе...

Sоnnеt à Μаdаmе Μ.Ν. : Quаnd, pаr un јоur dе pluiе, un оisеаu dе pаssаgе...

Sоnnеt à Μаdаmе Μ.Ν. : Vоus lеs rеgrеttiеz prеsquе еn mе lеs еnvоуаnt...

Соnnаis-tu dеuх pеstеs fеmеllеs...

À mоn Frèrе, rеvеnаnt d’Ιtаliе

Соnsеils à unе Ρаrisiеnnе

Ρаr un mаuvаis tеmps

À Μаdаmе Сnе Τ.

Sur trоis Μаrсhеs dе Μаrbrе rоsе

Sоnnеt : Sе vоir lе plus pоssiblе еt s’аimеr sеulеmеnt...

À Μ. dе Régniеr, dе lа Соmédiе Frаnçаisе, аprès lа mоrt dе sа fillе

Сhаnsоn : Quаnd оn pеrd, pаr tristе оссurеnсе...

À Μаdаmе Ο., qui аvаit fаit dеs dеssins pоur lеs Νоuvеllеs dе l’аutеur

Lе Ridеаu dе mа Vоisinе

Sоuvеnir dеs Αlpеs

Αdiеuх à Suzоn

Sоnnеt аu Lесtеur

 

Musset

Poésies nouvelles, 1850


Sur trois Marches de Marbre rose


 
Depuis qu’Adam, ce cruel homme,
A perdu son fameux jardin,
Où sa femme, autour d’une pomme,
Gambadait sans vertugadin,
Je ne crois pas que sur la terre
Il soit un lieu d’arbres planté
Plus célébré, plus visité,
Mieux fait, plus joli, mieux hanté
Mieux exercé dans l’art de plaire,
Plus examiné, plus vanté,
Plus décrit, plus lu, plus chanté,
Que l’ennuyeux parc de Versailles.
Ô dieux ! ô bergers ! ô rocailles !
Vieux Satyres, Termes grognons,
Vieux petits ifs en rangs d’oignons,
Ô bassins, quinconces, charmilles !
Boulingrins pleins de majesté,
Où les dimanches, tout l’été,
Bâillent tant d’honnêtes familles !
Fantômes d’empereurs romains,
Pâles nymphes inanimées
Qui tendez aux passants les mains,
Par des jets d’eau tout enrhumées !
Tourniquets d’aimables buissons,
Bosquets tondus où les fauvettes
Cherchent en pleurant leurs chansons,
Où les dieux font tant de façons
Pour vivre à sec dans leurs cuvettes !
Ô marronniers ! n’ayez pas peur ;
Que votre feuillage immobile,
Me sachant versificateur,
N’en, demeure pas moins tranquille.
Non, j’en jure par Apollon
Et par tout le sacré vallon,
Par vous, Naïades ébréchées,
Sur trois cailloux si mal couchées,
Par vous, vieux maîtres de ballets,
Faunes dansant sur la verdure,
Par toi-même, auguste palais,
Qu’on n’habite plus qu’en peinture,
Par Neptune, sa fourche au poing,
Non, je ne vous décrirai point.
Je sais trop ce qui vous chagrine ;
De Phoebus je vois les effets :
Ce sont les vers qu’on vous a faits
Qui vous donnent si triste mine.
Tant de sonnets, de madrigaux,
Tant de ballades, de rondeaux,
Où l’on célébrait vos merveilles,
Vous ont assourdi les oreilles,
Et l’on voit bien que vous dormez
Pour avoir été trop rimés.
 
En ces lieux où l’ennui repose,
Par respect aussi j’ai dormi.
Ce n’était, je crois, qu’à demi
Je rêvais à quelque autre chose.
Mais vous souvient-il, mon ami,
De ces marches de marbre rose,
En allant à la pièce d’eau
Du côté de l’Orangerie,
À gauche, en sortant du château ?
C’était par là, je le parie,
Que venait le roi sans pareil,
Le soir, au coucher du soleil,
Voir dans la forêt, en silence,
Le jour s’enfuir et se cacher
(Si toutefois en sa présence
Le soleil osait se coucher).
Que ces trois marches sont jolies !
Combien ce marbre est noble et doux !
Maudit soit du ciel, disions-nous,
Le pied qui les aurait saliesl
N’est-il pas vrai ? Souvenez-vous.
— Avec quel charme est nuancée
Cette dalle à moitié cassée !
Vovez-vous ces veines d’azur,
Légères, fines et polies,
Courant, sous les roses pâlies,
Dans la blancheur d’un marbre pur ?
Tel, dans le sein robuste et dur
De la Diane chasseresse,
Devait courir un sang divin ;
Telle, et plus froide, est une main
Oui me menait naguère en laisse.
N’allez pas, du reste, oublier
Que ces marches dont j’ai mémoire
Ne sont pas dans cet escalier
Toujours désert et plein de gloire,
Où ce roi, qui n’attendait pas,
Attendit un jour, pas à pas,
Condé, lassé par la victoire.
Elles sont près d’un vase blanc,
Proinrement fait et fort galant.
Est-il moderne ? est-il antioue ?
D’autres que moi savent cela,
Mais j’aime assez à le voir là,
Étant sûr qu’il n’est point gothique.
C’est un bon vase, un bon voisin ;
Je le crois volontiers cousin
De mes marches couleur de rose ;
Il les abrite avec fierté.
Ô mon Dieu ! dans si peu de chose
Que de grâce et que de beauté !
Dites-nous, marches gracieuses,
Les rois, les princes, les prélats,
Et les marquis à grand fracas,
Et les belles ambitieuses,
Dont vous avez compté les pas ;
Celles-là surtout, j’imagine,
En vous touchant ne pesaient pas.
Lorsque le velours ou l’hermine
Frôlaient vos contours délicats,
Laquelle était la plus légère ?
Est-ce la reine Montespan ?
Est-ce Hortense avec un roman,
Maintenon avec son bréviaire,
Ou Fontange avec son ruban ?
Beau marbre, as-tu vu la Vallière ?
De Parabère ou de Sabran
Laquelle savait mieux te plaire ?
Entre Sabran et Parabère
Le Régent même, après souper,
Chavirait jusqu’à s’y tromper.
As-tu vu le puissant Voltaire,
Ce grand frondeur des préjugés,
Avocat des gens mal jugés,
Du Christ ce terrible adversaire,
Bedeau du temple de Cythère,
Présentant à la Pompadour
Sa vieille eau bénite de cour ?
As-tu vu, comme à l’ermitage,
La rondelette Dubarry
Courir, en buvant du laitage,
Pieds nus, sur le gazon fleuri ?
Marches qui savez notre histoire,
Aux jours pompeux de votre gloire,
Quel heureux monde en ces bosquets !
Que de grands seigneurs, de laquais,
Que de duchesses, de caillettes,
De talons rouges, de paillettes,
Que de soupirs et de caquets,
Que de plumets et de calottes,
De falbalas et de culottes,
Que de poudre sous ces berceaux,
Que de gens, sans compter les sots !
Règne auguste de la perruque,
Le bourgeois qui te méconnaît
Mérite sur sa plate nuque
D’avoir un éternel bonnet.
Et toi, siècle à l’humeur badine,
Siècle tout couvert d’amidon,
Ceux qui méprisent ta farine
Sont en horreur à Cupidon !...
Est-ce ton avis, marbre rose ?
Malgré moi, pourtant, je suppose
Que le hasard qui t’a mis là
Ne t’avait pas fait pour cela.
Aux pays où le soleil brille,
Près d’un temple grec ou latin,
Les beaux pieds d’une jeune fille,
Sentant la bruyère et le thym,
En te frappant de leurs sandales,
Auraient mieux réjoui tes dalles
Qu’une pantoufle de satin.
Est-ce d’ailleurs pour cet usage
Que la nature avait formé
Ton bloc jadis vierge et sauvage
Que le génie eût animé ?
Lorsque la pioche et la truelle
T’ont scellé dans ce parc boueux,
En t’y plantant malgré les dieux,
Mansard insultait Praxitèle.
Oui, si tes flancs devaient s’ouvrir,
Il fallait en faire sortir
Quelque divinité nouvelle.
Quand sur toi leur scie a grincé,
Les tailleurs de pierre ont blessé
Quelque Vénus dormant encore,
Et la pourpre qui te colore
Te vient du sang qu’elle a versé.
 
Est-il donc vrai que toute chose
Puisse être ainsi foulée aux pieds,
Le rocher où l’aigle se pose,
Comme la feuille de la rose
Qui tombe et meurt dans nos sentiers ?
Est-ce que la commune mère,
Une fois son œuvre accompli,
Au hasard livre la matière,
Comme la pensée à l’oubli ?
Est-ce que la tourmente amère
Jette la perle au lapidaire
Pour qu’il l’écrase sans façon ?
Est-ce que l’absurde vulgaire
Peut tout déshonorer sur terre
Au gré d’un cuistre ou d’un maçon ?
 

1848.

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