Hugo

(1802-1885)

L'Art d'être grand-père

(1877)

I — À Guernesey +
III — La Lune +
IV — Le Poème du Jardin des Plantes +
VII — L’Immaculée Conception +
VIII — Les Griffonnages de l’écolier +
X — Enfants, oiseaux et fleurs +
XV — Laus puero ×
XVI — Deux chansons +
 

Hugo

L'Art d'être grand-père, 1877


IX

 


 
Que voulez-vous ? L’enfant me tient en sa puissance ;
Je finis par ne plus aimer que l’innocence ;
Tous les hommes sont cuivre et plomb, l’enfance est or.
J’adore Astyanax et je gourmande Hector.
Es-tu sûr d’avoir fait ton devoir envers Troie ?
Mon ciel est un azur, qui, par instants, foudroie.
Bonté, fureur, c’est là mon flux et mon reflux,
Et je ne suis borné d’aucun côté, pas plus
Quand ma bouche sourit que lorsque ma voix gronde ;
Je me sens plein d’une âme étoilée et profonde ;
Mon cœur est sans frontière, et je n’ai pas d’endroit
Où finisse l’amour des petits, et le droit
Des faibles, et l’appui qu’on doit aux misérables ;
Si c’est un mal, il faut me mettre aux Incurables.
Je ne vois pas qu’allant du ciel au genre humain,
Un rayon de soleil s’arrête à mi-chemin ;
La modération du vrai m’est inconnue ;
Je veux le rire franc, je veux l’étoile nue.
Je suis vieux, vous passez, et moi, triste ou content,
J’ai la paternité du siècle sur l’instant.
Trouvez-moi quelque chose, et quoi que ce puisse être
D’extrême, appartenant à mon emploi d’ancêtre,
Blâme aux uns ou secours aux autres, je le fais.
Un jour, je fus parmi les vainqueurs, j’étouffais ;
Je sentais à quel point vaincre est impitoyable ;
Je pris la fuite. Un roc, une plage de sable
M’accueillirent. La Mort vint me parler. — Proscrit,
Me dit-elle, salut ! — Et quelqu’un me sourit,
Quelqu’un de grand qui rêve en moi, ma conscience.
Et j’aimai les enfants, ne voyant que l’enfance,
Ô ciel mystérieux, qui valût mieux que moi.
L’enfant, c’est de l’amour et de la bonne foi.
Le seul être qui soit dans cette sombre vie
Petit avec grandeur puisqu’il l’est sans envie,
C’est l’enfant.
 
                            C’est pourquoi j’aime ces passereaux.
 
 
Pourtant, ces myrmidons je les rêve héros.
France, j’attends qu’ils soient au devoir saisissables.
Dès que nos fils sont grands, je les sens responsables ;
Je cesse de sourire ; et je me dis qu’il faut
Livrer une bataille immense à l’échafaud,
Au trône, au sceptre, au glaive, aux Louvres, aux repaires.
Je suis tendre aux petits, mais rude pour les pères.
C’est ma façon d’aimer les hommes faits ; je veux
Qu’on pense à la patrie, empoignée aux cheveux
Et par les pieds traînée autour du camp vandale ;
Lorsqu’à Rome, à Berlin, la bête féodale
Renaît et rouvre, affront pour le soleil levant,
Deux gueules qui d’ailleurs s’entremordent souvent,
Je m’indigne. Je sens, ô suprême souffrance,
La diminution tragique de la France,
Et j’accuse quiconque a la barbe au menton ;
Quoi ! ce grand imbécile a l’âge de Danton !
Quoi ! ce drôle est Jocrisse et pourrait être Hoche !
Alors l’aube à mes yeux surgit comme un reproche,
Tout s’éclipse, et je suis de la tombe envieux.
Morne, je me souviens de ce qu’ont fait les vieux ;
Je songe à l’océan assiégeant les falaises,
Au vaste écroulement qui suit les Marseillaises,
Aux portes de la nuit, aux Hydres, aux dragons,
À tout ce que ces preux ont jeté hors des gonds !
Je les revois mêlant aux éclairs leur bannière ;
Je songe à la joyeuse et farouche manière
Dont ils tordaient l’Europe entre leurs poings d’airain ;
Oh ! ces soldats du Nil, de l’Argonne et du Rhin,
Ces lutteurs, ces vengeurs, je veux qu’on les imite !
Je vous le dis, je suis un aïeul sans limite ;
Après l’ange je veux l’archange au firmament ;
Moi grand-père indulgent, mais ancêtre inclément,
Aussi doux d’un côté que sévère de l’autre,
J’aime la gloire énorme et je veux qu’on s’y vautre
Quand cette gloire est sainte et sauve mon pays !
Dans les Herculanums et dans les Pompéïs
Je ne veux pas qu’on puisse un jour compter nos villes ;
Je ne vois pas pourquoi les âmes seraient viles ;
Je ne vois pas pourquoi l’on n’égalerait pas
Dans l’audace, l’effort, l’espoir, dans le trépas,
Les hommes d’Iéna, d’Ulm et des Pyramides ;
Les vaillants ont-ils donc engendré les timides ?
Non, vous avez du sang aux veines, jeunes gens !
Nos aïeux ont été des héros outrageants
Pour le vieux monde infâme ; il reste de la place
Dans l’avenir ; soyez peuple et non populace ;
Soyez comme eux géants ! Je n’ai pas de raisons
Pour ne point souhaiter les mêmes horizons,
Les mêmes nations en chantant délivrées,
Le même arrachement des fers et des livrées,
Et la même grandeur sans tache et sans remords
À nos enfants vivants qu’à nos ancêtres morts !
 

8 juin 1875.

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Vеrlаinе : «Βоn сhеvаliеr mаsqué qui сhеvаuсhе еn silеnсе...»

Klingsоr : Εnvоi

Sаint-Ρоl-Rоuх : Gоlgоthа

Βаudеlаirе : Lе Gоût du Νéаnt

Jасоb : Lа Sаltimbаnquе еn wаgоn dе 3е сlаssе

Villаrd : «Quаnd lа lаmpе Саrсеl sur lа tаblе s’аllumе...»

Sсаrrоn : «À l’оmbrе d’un rосhеr, sur lе bоrd d’un ruissеаu...»

Сlаudеl : Βаllаdе

Fоurеst : Lеs Ρоissоns mélоmаnеs

Lеvеу : Jаpоn — Νаgаsаki

Сеndrаrs : Jоurnаl

Jасоb : Villоnеllе

☆ ☆ ☆ ☆

Βаudеlаirе : Lе Gоût du Νéаnt

Vеrlаinе : «J’аi dit à l’еsprit vаin, à l’оstеntаtiоn...»

Jасоb : Fаblе sаns mоrаlité

Sсhwоb : Lе Viеuх dit :

Rаmuz : Lеs Quаtrе-Hеurеs

Τаstu : «Quе dе sеs blоnds аnnеаuх tоn bеаu frоnt sе dégаgе...»

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur Τristеssе d’été (Μаllаrmé)

De Сосhоnfuсius sur Sоnnеt à Μаdаmе Μ.Ν. : «Quаnd, pаr un јоur dе pluiе, un оisеаu dе pаssаgе...» (Μussеt)

De Vinсеnt sur Τоmbеаu du Ρоètе (Dеubеl)

De Сосhоnfuсius sur «Qui vеut vоir iсi-bаs un Αstrе rеluisаnt...» (Βirаguе)

De Jаdis sur Τristеssе (Rеnаrd)

De Jаdis sur Lеs Ρеrrоquеts du Jаrdin dеs Ρlаntеs (Соppéе)

De Jаdis sur «Αvес sеs vêtеmеnts оndоуаnts еt nасrés...» (Βаudеlаirе)

De Xi’аn sur «Μоn âmе pаisiblе étаit pаrеillе аutrеfоis...» (Τоulеt)

De Lа Μusеrаntе sur Соntrе Ligurinus : «Τоut lе mоndе tе fuit...» (Dubоs)

De Vinсеnt sur «Un sоir, lе lоng dе l’еаu, еllе mаrсhаit pеnsivе...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De Xi’аn sur Lе Суgnе (Rеnаrd)

De Сurаrе- sur «Sаintе Τhérèsе vеut quе lа Ρаuvrеté sоit...» (Vеrlаinе)

De Ρоéliсiеr sur «Αmоurs јumеаuх, d’unе flаmmе јumеllе...» (Ρаssеrаt)

De Βеn sur «Μаrgоt, еn vоus pеignаnt, је vоus pinсе sаns rirе...» (Sigоgnе)

De Lеbrun sur «Jе rêvе, tаnt Ρаris m’еst pаrfоis un еnfеr...» (Соppéе)

De Rоzès sur Lе Сinémа (Siсаud)

De GΟUUΑUX sur «J’étаis à tоi pеut-êtrе аvаnt dе t’аvоir vu...» (Dеsbоrdеs-Vаlmоrе)

De Rоzès sur Répétitiоn (Vаuсаirе)

De Xi’аn sur Sоnnеt : «Νоn, quаnd biеn mêmе unе аmèrе sоuffrаnсе...» (Μussеt)

De Rоzès sur Εsсlаvаgе (Τhаlу)

De Сurаrе- sur Lе Lаit dеs сhаts (Guérin)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе