Paul Claudel

Connaissance de l'Est, 1907


Salutation

Et je salue de nouveau cette terre pareille à celles de Gessen et de Chanaan. Cette nuit, notre navire à l’entrée du fleuve ballotté dans le clair-de-lune couleur de froment, quel signe bien bas au-delà de la mer m’a fait le feu des « Chiens », veilleur d’or au pied du pan d’astres, splendeur lampante à l’horizon du Globe. Mais, des eaux faciles nous ayant introduits au sein de la région, je débarque, et sur ma route je vois au-dessous de moi se répéter au cœur des champs l’image du rond soleil, rubiconde dans le riz vert.

Il ne fait ni froid, ni trop chaud : toute la nature a la chaleur de mon corps. Que le faible cri des cigales sous l’herbe me touche ! à cette fin de la saison, dans l’instant testamentaire, l’union du ciel et de la terre, amoureuse aujourd’hui moins qu’elle n’est sacramentelle, consomme la solennité matrimoniale. O sort bien dur ! n’est-il de repos que hors de moi ? n’est-il point de paix pour le cœur de l’homme ? Ah ! un esprit né pour la seule jouissance ne pardonne aucun délai. La possession même un jour ne tarira point mes larmes ; nulle joie de moi n’aura raison assez pour que l’amertume de la réparation s’y perde.

Et je saluerai cette terre, non point avec un jet frivole de paroles inventées, mais en moi que la découverte soudain d’un immense discours cerne le pied des monts comme une mer d’épis traversée d’un triple fleuve. Je remplis, comme une plaine et ses chemins, le compartiment des montagnes. Tous les yeux levés vers les montagnes éternelles, je salue populeusement le corps vénérable de la Terre. Je ne vois plus le vêtement seul, mais le flanc même à travers l’air, rassemblement gigantesque des membres. O bords autour de moi de la coupe ! c’est de vous que nous recevons les eaux du ciel, et vous êtes le récipient de l’Offrande ! Ce matin moite, au tournant de la route dépassant le tombeau et l’arbre, j’ai vu la sombre côte avec énormité, barrée au bas par le trait fulgurant du fleuve, se dresser toute ruisselante de lait dans le clair-de-midi.

Et comme un corps qui, au travers de l’eau, descend par la force de son poids, durant les quatre heures immobiles, je me suis avancé, au sein, sentant une résistance divine, de la lumière. Je me tiens debout parmi l’air parfaitement blanc. Je célèbre avec un corps sans ombre l’orgie de la maturité. Ce n’est plus l’affamé soleil sous la force de qui tout à coup éclate, fleurit avec violence la terre suante et déchirée. Instant lustral ! Un souffle continuel vient sur nous d’entre l’Orient et le Nord. L’opulence de la moisson, les arbres, surchargés de leur récolte, remuent intarissablement repoussés sous l’haleine puissante et faible. Les fruits de la terre immensément sont agités dans la clarté purificatoire. Le ciel n’est plus bien loin au-dessus de nous ; abaissé tout entier, il nous immerge et nous mouille. Moi, nouvel Hylas, comme celui qui considérait au-dessus de lui les poissons horizontaux suspendus dans l’espace vitreux, je vois de ce lait, de cet argent où je suis noyé jaillir un éblouissant oiseau blanc à gorge rose et de nouveau s’y perdre de ce côté dont l’œil ne peut soutenir la candeur.

Et la journée tout entière n’épuisera point ma salutation. À l’heure sombre où, par la forêt d’orangers, le cortège nuptial armé de torches flamboyantes conduit la chaise de l’époux, au-dessus du cercle farouche des montagnes fumantes de tout mon être vers le Signe rouge que je vois s’élève l’applaudissement et l’acclamation. Je salue le seuil, l’évidence brutale de l’Espoir, la récompense de l’homme incompromis ; je lève les mains vers l’ostension de la couleur virile ! Triomphateur automnal, le feuillage au-dessus de ma tête est mélangé de petites oranges. Mais il me faut, une fois encore, ramener chez les hommes ce visage dès l’enfance levé, comme du chanteur qui, les lèvres ouvertes, le cœur anéanti dans la mesure, l’œil fixé sur son papier, attend le moment de prendre sa partie, vers la Mort.


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