Paul Claudel

Connaissance de l'Est, 1907


Le Jour de la fête-de-tous-les-fleuves

Le jour de la fête-de-tous-les-fleuves, nous sommes allés souhaiter la sienne au nôtre, qui est large et rapide. Il est la sortie du pays, il est la force incluse en ses flancs ; il est la liquéfaction de la substance de la terre, il est l’éruption de l’eau liquide enracinée au plus secret de ses replis, du lait sous la traction de l’Océan qui tette. Ici, sous le bon vieux pont de granit, entre les bateaux de la montagne qui nous apportent les minerais et le sucre, et, de l’autre côté, les jonques de la mer multicolore, qui, prises à l’hameçon de l’ancre, dirigent vers les piles infranchissables leurs gros yeux patients de bêtes de somme, il débouche par soixante arches. Quel bruit, quelle neige il fait, quand l’Aurore sonne de la trompette, quand le Soir s’en va dans le tambour ! Il n’a point de quais comme les tristes égouts de l’Occident ; de plain-pied avec lui dans une familiarité domestique, chacune y vient laver son linge, puiser l’eau de son souper. Même, au printemps, dans la turbulence de sa jouerie, le dragon aux anneaux bouillonnants envahit nos rues et nos maisons. Comme la mère chinoise offre le petit enfant au chien de la maison qui lui nettoie le derrière avec soin, il efface en un coup de langue l’immense ordure de la ville.

Mais aujourd’hui c’est la fête du fleuve ; nous célébrons son carnaval avec lui dans le roulant tumulte des eaux blondes. Si tu ne peux passer le jour enfoncé dans le remous comme un buffle jusqu’aux yeux à l’ombre de ton bateau, ne néglige pas d’offrir au soleil de midi de l’eau pure dans un bol de porcelaine blanche ; elle sera pour l’an qui vient un remède contre la colique. Et ce n’est pas le temps de rien ménager : qu’on descelle la plus pesante cruche, courge potable d’or à l’écorce de terre, que l’on suce au goulot même le thé du quatrième mois ! Que chacun, par cette après-midi de pleine crue et de plein soleil, vienne palper, taper, étreindre, chevaucher le grand fleuve municipal, l’animal d’eau qui fuit d’une échine ininterrompue vers la mer. Tout grouille, tout tremble d’une rive à l’autre de sampans et de bateaux, où les convives de soie pareils à de clairs bouquets boivent et jouent ; tout est lumière et tambour. De çà, de là, de toutes parts, jaillissent et filent les pirogues à têtes de dragons, aux bras de cent pagayeurs nus que dans le milieu pousse au délire ce grand jaune des deux mains battant sa charge de démon ! Si fines, elles semblent un sillon, la flèche même du courant, qu’active tout ce rang de corps qui y plongent jusqu’à la ceinture. Sur la rive où j’embarque, une femme lave son linge ; la cuvette de laque vermillon où elle empile ses hardes a un rebord d’or qui éclate et qui fulmine au soleil de la solennité. Regard brut pour un éclair créé et œil au jour de l’honorable fleuve.


©  

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Νоuvеаu : Εn fоrêt

Dеsbоrdеs-Vаlmоrе : «J’étаis à tоi pеut-êtrе аvаnt dе t’аvоir vu...»

Lаmаrtinе : L’Hоmmе

Viviеn : Lеs Ébаuсhеs [1907]

Соuté : Lеs Соnsсrits

Hugо : Lа Légеndе dе lа Νоnnе

Drеlinсоurt : Sur l’Εnfеr

Τоulеt : «Се n’еst pаs drôlе dе mоurir...»

Αpоllinаirе : Lе Сhаt

Τоulеt : «Μоn âmе pаisiblе étаit pаrеillе аutrеfоis...»

☆ ☆ ☆ ☆

Νоuvеаu : Εn fоrêt

Sаint-Ρоl-Rоuх : Lа Jоurnéе prоvеnçаlе

Rimbаud : Lе Μаl

Gоudеаu : Lеs Fоus

Du Βеllау : «Εspérеz-vоus quе lа pоstérité...»

Évаnturеl : Sоuvеnir

Rоllinаt : Lе Сhаssеur еn sоutаnе

Dеrèmе : «Μоn еspérаnсе étаit tоmbéе...»

Ρоnсhоn : Rоndеl : «Αh ! lа prоmеnаdе ехquisе...»

Ρоnсhоn : Сhаnsоn : «Lе јоli vin dе mоn аmi...»

Cоmmеntaires récеnts

De Сurаrе- sur Jоurnаlistе piеuх (Fréсhеttе)

De Сосhоnfuсius sur Αu Rоi (Du Βеllау)

De Сосhоnfuсius sur Lа Νеigе (Ρоpеlin)

De аunrуz sur Rêvеriе (Lаrguiеr)

De Сосhоnfuсius sur «Εn un pеtit еsquif épеrdu, mаlhеurеuх...» (Αubigné)

De Сhristiаn sur Сrépusсulе dе dimаnсhе d’été (Lаfоrguе)

De Сurаrе- sur L’Ιndifférеnt (Sаmаin)

De Τhundеrbird sur Αgnus Dеi (Vеrlаinе)

De Сurаrе- sur À сеllеs qui plеurеnt (Dеsbоrdеs-Vаlmоrе)

De L’hеndéсаpé sуllаbis sur Lа Ρаssаntе (Νеlligаn)

De Сhristiаn sur «Lе сhеmin qui mènе аuх étоilеs...» (Αpоllinаirе)

De Ιо Kаnааn sur Jоуаu mémоriаl (Sеgаlеn)

De Lilith sur «Се fut un Vеndrеdi quе ј’аpеrçus lеs Diеuх...» (Νuуsеmеnt)

De Сurаrе_ sur Lе Dоnјоn (Rоllinаt)

De Сhristiаn sur Lе Μusiсiеn dе Sаint-Μеrrу (Αpоllinаirе)

De Ιо Kаnааn sur «Αh trаîtrе Αmоur, dоnnе-mоi pаiх оu trêvе...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur Lе Dоrmеur du vаl (Rimbаud)

De Αlаin sur Lа Сhаpеllе аbаndоnnéе (Fоrt)

De Βеrgаud Α sur Lеs Gеnêts (Fаbié)

De Jаdis sur Lе Rоi dе Τhulé (Νеrvаl)

De Jаdis sur «Τоut n’еst plеin iсi-bаs quе dе vаinе аppаrеnсе...» (Vаlléе dеs Βаrrеаuх)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе