Paul Claudel

Connaissance de l'Est, 1907


Le Cocotier

Tout arbre chez nous se tient debout comme un homme, mais immobile ; enfonçant ses racines dans la terre, il demeure les bras étendus. Ici, le sacré banyan ne s’exhausse point unique : des fils en pendent par où il retourne chercher le sein de la terre, semblable à un temple qui s’engendre lui-même. Mais c’est du cocotier seulement que je veux parler.

Il n’a point de branches ; au sommet de sa tige, il érige une touffe de palmes.

La palme est l’insigne du triomphe, elle qui, aérienne, amplification de la cime, s’élançant, s’élargissant dans la lumière où elle joue, succombe au poids de sa liberté. Par le jour chaud et le long midi, le cocotier ouvre, écarte ses palmes dans une extase heureuse, et au point où elles se séparent et divergent, comme des crânes d’enfants s’appliquent les têtes grosses et vertes des cocos. C’est ainsi que le cocotier fait le geste de montrer son cœur. Car les palmes inférieures, tandis qu’il s’ouvre jusqu’au fond, se tiennent affaissées et pendantes, et celles du milieu s’écartent de chaque côté tant qu’elles peuvent, et celles du haut, relevées, comme quelqu’un qui ne sait que faire de ses mains ou comme un homme qui montre qu’il s’est rendu, font lentement un signe. La hampe n’est point faite d’un bois inflexible, mais annelée, et, comme une herbe, souple et longue, elle est docile au rêve de la terre, soit qu’elle se porte vers le soleil, soit que, sur les fleuves rapides et terreux ou au-dessus de la mer et du ciel, elle incline sa touffe énorme.

La nuit, revenant le long de la plage battue avec une écume formidable par la masse tonitruante de ce léonin Océan Indien que la mousson du sud-ouest pousse en avant, comme je suivais cette rive jonchée de palmes pareilles à des squelettes de barques et d’animaux, je voyais à ma gauche, marchant par cette forêt vide sous un opaque plafond, comme d’énormes araignées grimper obliquement contre le ciel crépusculaire. Vénus, telle qu’une lune toute trempée de plus purs rayons, faisait un grand reflet sur les eaux. Et un cocotier, se penchant sur la mer et l’étoile, comme un être accablé d’amour, faisait le geste d’approcher son cœur du feu céleste. Je me souviendrai de cette nuit, alors que, m’en allant, je me retournai. Je voyais pendre de grandes chevelures, et, à travers le haut péristyle de la forêt, le ciel où l’orage posant ses pieds sur la mer s’élevait comme une montagne, et au ras de la terre la couleur pâle de l’Océan.

Je me souviendrai de toi, Ceylan ! de tes feuillages et de tes fruits, et de tes gens aux yeux doux qui s’en vont nus par tes chemins couleur de chair de mangue, et de ces longues fleurs roses que l’homme qui me traînait mit enfin sur mes genoux quand, les larmes aux yeux, accablé d’un mal, je roulais sous ton ciel pluvieux, mâchant une feuille de cinnamome.


©  

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Βоurgеt : Lа Rоmаnсе d’Αriеl

Rоussеаu : Lе Rоssignоl еt lа Grеnоuillе

Ρérin : Αubе

Αpоllinаirе : Lе Drоmаdаirе

Соignаrd : «Οbsсurе nuit, lаissе tоn nоir mаntеаu...»

Lаfоrguе : Βоufféе dе printеmps

Τоulеt : «Si vivrе еst un dеvоir...»

Ρéguу : Ρrésеntаtiоn dе lа Βеаuсе à Νоtrе-Dаmе dе Сhаrtrеs

☆ ☆ ☆ ☆

Βоurgеt : Lа Rоmаnсе d’Αriеl

Rоussеаu : Lе Rоssignоl еt lа Grеnоuillе

Vеrlаinе : L’Αubеrgе

Vеrlаinе : À Hоrаtiо

Соrnеillе : Sоnnеt : «Dеuх sоnnеts pаrtаgеnt lа villе...»

Fоurеst : Sаrdinеs à l’huilе

Sullу Ρrudhоmmе : Lеs Сhаînеs

Ρоnсhоn : Lе Gigоt

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur Lе Vоl nосturnе (Sаint-Αmаnt)

De Сосhоnfuсius sur Εхtаsе (Αubigné)

De Сосhоnfuсius sur «Un сlаirvоуаnt fаuсоn еn vоlаnt pаr rivièrе...» (Αubigné)

De Ιоhаnnеs sur Ρrièrе dе соnfidеnсе (Ρéguу)

De Сurаrе- sur Lеs Fеuillеs mоrtеs (Gоurmоnt)

De Lilith sur Vеrlаinе

De Μоntеrrоsо sur Lа Μоuсhе (Αpоllinаirе)

De Jаdis sur Саrоlо Quintо impеrаntе (Hеrеdiа)

De Сurаrе- sur Sоnnеt : «Un livrе n’аurаit pаs suffi...» (Ρrivаt d'Αnglеmоnt)

De Τrуphоn Τоurnеsоl sur À unе mуstériеusе (Rоllinаt)

De Сurаrе- sur L’Αngе (Lоuÿs)

De Αlbаtrосе sur «Dоuсе plаgе оù nаquit mоn âmе...» (Τоulеt)

De Gеf sur À Μ. Α. Τ. : «Αinsi, mоn сhеr аmi, vоus аllеz dоnс pаrtir !...» (Μussеt)

De Gеf sur Villеs : «Се sоnt dеs villеs !...» (Rimbаud)

De Jаdis sur Τаblеаu (Сrоs)

De Βibоsаurе sur À Αlf. Τ. : «Qu’il еst dоuх d’êtrе аu mоndе, еt quеl biеn quе lа viе !...» (Μussеt)

De Βоurg sur «Lоngtеmps si ј’аi dеmеuré sеul...» (Τоulеt)

De Jаdis sur Épigrаmmе d’аmоur sur sоn nоm (Αubеspinе)

De Ιsis Μusе sur Lа grоssе dаmе сhаntе... (Ρеllеrin)

De Dаmе dе flаmmе sur Сhаnsоn dе lа mélаnсоliе (Fоrt)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе