Paul Claudel

Connaissance de l'Est, 1907


La Terre quittée

C’est la mer qui est venue nous rechercher. Elle tire sur notre amarre, elle décolle de l’appontement le flanc de notre bateau. Lui, dans un grand tressaillement, agrandit peu à peu l’intervalle qui le sépare du quai encombré et de l’escale humaine. Et nous suivons dans son lacet paresseux le fleuve tranquille et gras. C’est ici l’une de ces bouches par où la terre dégorge, et, crevant dans une poussée de pâte, vient ruminer la mer mélangée à son herbage. De ce sol que nous habitâmes, il ne reste plus que la couleur, l’âme verte prête à se liquéfier. Et déjà devant nous, là-bas un feu dans l’air limpide indique la ligne et le désert.

Cependant que l’on mange, je ressens que l’on s’est arrêté, et dans tout le corps du bateau et le mien la respiration de l’eau libre. On débarque le pilote. Sous le feu de la lampe électrique, de son canot qui danse, il salue de la main notre navire affranchi ; on largue l’échelle, nous partons. Nous partons dans le clair-de-lune !

Et je vois au-dessus de moi la ligne courbe de l’horizon, telle que la frontière d’un sommeil démesuré. Tout mon cœur désespérément, comme l’opaque sanglot avec lequel on se rendort, fuit le rivage derrière nous qui s’éteint. Ah ! mer, c’est toi ! Je rentre. Il n’est pas de sein si bon que l’éternité, et de sécurité comparable à l’espace incirconscrit. Nos nouvelles du monde désormais, celles que chaque soir se levant à notre gauche nous apporte la face de la Lune. Je suis libéré du changement et de la diversité. Point de vicissitudes que celles du jour et de la nuit, de proposition que le Ciel à nos yeux et de demeure que ce sein des grandes Eaux qui le réfléchissent. Pureté purifiante ! Voici avec moi pour nous absoudre l’Absolu. Que m’importe maintenant la fermentation des peuples, l’intrigue des mariages et des guerres, l’opération de l’or et des forces économiques, et toute la confuse partie là-bas engagée ? Tout se réduit au fait et à la passion multiforme des hommes et de la chose. Or, ici, je possède dans sa pureté le rythme principal, la montrance alternative du soleil et son occultation, et le fait simple, l’apparition sur l’horizon des figures sidérales à l’heure calculée. Et tout le jour j’étudie la mer comme on lit les yeux d’une femme qui comprend, sa réflexion avec l’attention de quelqu’un qui écoute. Au prix du pur miroir, qu’est-ce pour moi que la transmutation grossière de vos tragédies et de vos parades ?


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