Paul Claudel

Connaissance de l'Est, 1907


La Délivrance d’Amaterasu

Nul homme mortel ne saurait sans incongruité honorer par un culte public la Lune, comptable et fabricatrice de nos mois, filandière d’un fil avarement mesuré. À la bonne lumière du jour, nous nous réjouissons de voir toutes choses ensemble, avec beauté, comme une ample étoffe multicolore ; mais dès que le soir vient, ou que la nuit, déjà, est venue, je retrouve la fatale Navette toute enfoncée au travers de la trame du ciel. Que ton œil seul, amie, doré par sa lumière maléfique, l’avoue, et ces cinq ongles qui brillent au manche de ton luth !

Mais le soleil toujours pur et jeune, toujours semblable à lui-même, très radieux, très blanc, manque-t-il donc rien chaque jour à l’épanouissement de sa gloire, à la générosité de sa face ? et qui la regardera sans être forcé de rire aussitôt ? D’un rire donc aussi libre que l’on accueille un beau petit enfant, donnons notre cœur au bon soleil ! Quoi ! dans la plus mince flaque, dans la plus étroite ornière laissée au tournant de la route publique, il trouvera de quoi mirer son visage vermeil, et seule l’âme secrète de l’homme lui demeurera-t-elle si close qu’elle lui refuse sa ressemblance et du fond de ses ténèbres un peu d’or ?

À peine la race rogneuse des Fils de la Boue eut-elle commencé à barboter sur le sein de la terre nourrissante que, pressés de la fureur de manger, ils oublièrent la Chose splendide, l’éternelle Épiphanie dans laquelle ils avaient été admis à être vivants. Comme le graveur bien appliqué à tailler sa planche suivant le fil du bois s’occupe peu de la lampe au-dessus de sa tête qui l’éclaire, de même l’agriculteur, toutes choses pour lui réduites à ses deux mains et au cul noir de son buffle, avait soin seulement de mener droit son sillon, oublieux du cœur lumineux de l’Univers. Alors Amaterasu s’indigna dans le soleil. Elle est l’âme du soleil par quoi il brille et ce qu’est le souffle de la trompette sonnante. « La bête », dit-elle, « quand elle a repu son ventre m’aime, elle jouit avec simplicité de mes caresses ; elle dort dans la chaleur de ma face toute remplie du choc régulier de son sang à la surface de son corps, le battement intérieur de la vie rouge. Mais l’homme brutal et impie n’est jamais rassasié de manger. La fleur, tout au long du jour, m’adore, et nourrit de la vertu de mon visage son cœur dévot. L’homme seul est mal recueilli sur sa tige ; il me dérobe ce sacré miroir en lui fait pour me réfléchir. Fuyons donc. Cachons cette beauté sans honneur ! » Aussitôt comme une colombe qui se glisse au trou d’une muraille, elle occupe, à l’embouchure du fleuve Yokigawa, cette caverne profonde et d’un quartier de roc énorme en bouche hermétiquement l’ouverture.

Tout soudain s’éteignit et d’un seul coup le ciel qu’il y a pendant le jour apparut avec toutes ses étoiles. Ce n’était point la nuit, mais ces ténèbres mêmes qui avant le monde étaient là, les ténèbres positives. La nuit atroce et crue touchait la terre vivante. Il y avait une grande absence dans le Ciel : l’Espace était vidé de son centre ; la personne du Soleil s’était retirée comme quelqu’un qui s’en va pour ne pas vous voir, comme un juge qui sort. Alors ces ingrats connurent la beauté d’Amaterasu. Qu’ils la cherchent maintenant dans l’air mort ! Un grand gémissement se propagea à travers les Iles, l’agonie de la pénitence, l’abomination de la peur. Comme le soir les moustiques par myriades remplissent l’air malfaisant, la terre fut livrée au brigandage des démons et des morts que l’on reconnaît d’avec les vivants à ce signe qu’ils n’ont pas de nombril. Comme un pilote pour mieux percer la distance fait étouffer les lumières prochaines, par la suppression de la lampe centrale l’Espace s’était agrandi autour d’eux. Et d’un côté inopiné de l’horizon, ils voyaient une étrange blancheur outre-ciel, telle que la frontière d’un monde voisin, le reflet d’un soleil postérieur.


[...]

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