Paul Claudel

Connaissance de l'Est, 1907


L’Arche d’or dans la forêt

Quand je quittai Yeddo, le grand soleil flamboyait dans l’air net ; à la fin de l’après-midi, arrivant à la jonction d’Utsonomiya, je vois que la nue offusque tout le couchant. Faite de grands cumulus amalgamés, elle présente cet aspect volumineux et chaotique qu’arrange parfois le soir, alors qu’un éclairage bas, comme un feu voilé de rampe, porte les ombres sur le champ nébuleux et accuse à rebours les reliefs. Sur le quai à cette minute assoupie et longtemps dans le train qui m’emporte vers l’Ouest, je suis le spectateur de la diminution du jour conjointe à l’épaississement graduel de la nue. J’ai d’un coup d’œil embrassé la disposition de la contrée. Au fond profondément d’obscures forêts et le repli de lourdes montagnes ; au-devant des banquettes détachées qui l’une derrière l’autre barrent la route comme des écrans espacés et parallèles. La terre, telle que les tranchées que nous suivons en montrent les couches, est d’abord un mince humus noir comme du charbon, puis du sable jaune, et enfin l’argile, rouge de soufre ou de cinabre. L’Averne devant nous s’ouvre et se déploie. Ce sol brûlé, ce ciel bas, cette amère clôture de volcans et de sapins, ne correspondent-ils pas à ce fond noir et nul sur lequel se lèvent les visions des songes ? Ainsi, avec une sagesse royale, l’antique shogun Ieyasu choisit ce lieu pour en superposer à l’ombre qu’il réintègre les ombrages, et, par la dissolution de son silence dans leur opacité, opérer la métamorphose du mort dans un dieu, selon l’association d’un temple à la sépulture.

La forêt des cryptomères est, au vrai, ce temple.

Hier, déjà, par ce sombre crépuscule, j’avais plusieurs fois coupé la double avenue de ces géants qui à vingt lieues de distance va chercher conduire, jusqu’au pont rouge, l’ambassadeur annuel qui porte les présents Impériaux à l’ancêtre. Mais ce matin, à l’heure où les premiers traits du soleil font paraître roses, dans le vent d’or qui les balaie, au-dessus de moi les bancs de sombre verdure, je pénètre dans la nef colossale qu’emplit délicieusement avec le froid de la nuit l’odeur pleine de la résine.

Le cryptomère ressort à la famille des pins, et les Japonais le nomment sengui. C’est un arbre très haut dont le fût, pur de toute inflexion et de tout nœud, garde une inviolable rectitude. On ne lui voit point de rameaux, mais çà et là ses feuillages, qui, selon le mode des pins, s’indiquent non par la masse et le relief, mais par la tache et le contour, flottent comme des lambeaux de noire vapeur autour du pilier mystique, et à une même hauteur, la forêt de ces troncs rectilignes se perd dans la voûte confuse et les ténèbres d’une inextricable frondaison. Le lieu est à la fois illimité et clos, préparé et vacant.

Les Maisons merveilleuses sont éparses par la futaie.

Je ne décrirai point tout le système de la Cité ombragée, telle que le plan en est sur mon éventail consigné d’un trait minutieux. Au milieu de la forêt monumentale, j’ai suivi les voies énormes que barre un torii écarlate ; à la cuve de bronze, sous un toit rapporté de la lune, j’ai empli ma bouche de la gorgée lustrale ; j’ai gravi les escaliers ; j’ai, mêlé aux pèlerins, franchi je ne sais quoi d’opulent et d’ouvert, porte au milieu de la clôture comme d’un rêve formée d’un pêle-mêle de fleurs et d’oiseaux ; j’ai, pieds nus, pénétré au cœur de l’or intérieur ; j’ai vu les prêtres au visage altier, coiffés du cimier de crin et revêtus de l’ample pantalon de soie verte, offrir le sacrifice du matin aux sons de la flûte et de l’orgue à bouche. Et la kagura sacrée sur son estrade, le visage encadré de la coiffe blanche, tenant dévotieusement entre ses mains la touffe d’or, le rameau glandifère, a pour moi exécuté la danse qui consiste à revenir toujours, à s’en aller, à revenir encore.


[...]

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