Boileau

L'Art poétique, 1674


Chant III


 
Il n’est point de serpent, ni de monstre odieux,
Qui, par l’art imité, ne puisse plaire aux yeux ;
D’un pinceau délicat l’artifice agréable
Du plus affreux objet fait un objet aimable.
Ainsi, pour nous charmer, la Tragédie en pleurs
D’Oedipe tout sanglant fit parler les douleurs,
D’Oreste parricide exprima les alarmes,
Et, pour nous divertir, nous arracha des larmes.
 
Vous donc qui, d’un beau feu pour le théâtre épris,
Venez en vers pompeux y disputer le prix,
Voulez-vous sur la scène étaler des ouvrages
Où tout Paris en foule apporte ses suffrages,
Et qui, toujours plus beaux, plus ils sont regardés,
Soient au bout de vingt ans encor redemandés ?
Que dans tous vos discours la passion émue
Aille chercher le cœur, l’échauffe et le remue.
Si, d’un beau mouvement l’agréable fureur
Souvent ne nous remplit d’une douce « terreur »,
Ou n’excite en notre âme une « pitié » charmante,
En vain vous étalez une scène savante ;
Vos froids raisonnements ne feront qu’attiédir
Un spectateur toujours paresseux d’applaudir,
Et qui, des vains efforts de votre rhétorique
Justement fatigué, s’endort ou vous critique.
Le secret est d’abord de plaire et de toucher :
Inventez des ressorts qui puissent m’attacher.
 
Que dès les premiers vers, l’action préparée
Sans peine du sujet aplanisse l’entrée.
Je me ris d’un acteur qui, lent à s’exprimer,
De ce qu’il veut, d’abord, ne sait pas m’informer,
Et qui, débrouillant mal une pénible intrigue,
D’un divertissement me fait une fatigue.
J’aimerais mieux encor qu’il déclinât son nom,
Et dît : « Je suis Oreste, ou bien Agamemnon »,
Que d’aller, par un tas de confuses merveilles,
Sans rien dire à l’esprit, étourdir les oreilles.
Le sujet n’est jamais assez tôt expliqué.
 
Que le lieu de la Scène y soit fixe et marqué.
Un rimeur, sans péril, delà les Pyrénées,
Sur la scène en un jour renferme des années.
Là, souvent, le héros d’un spectacle grossier,
Enfant au premier acte, est barbon au dernier.
Mais nous, que la raison à ses règles engage,
Nous voulons qu’avec art l’action se ménage ;
Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli.
 
Jamais au spectateur n’offrez rien d’incroyable :
Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.
Une merveille absurde est pour moi sans appas :
L’esprit n’est point ému de ce qu’il ne croit pas.
Ce qu’on ne doit point voir, qu’un récit nous l’expose :
Les yeux, en le voyant, saisiraient mieux la chose ;
Mais il est des objets que l’art judicieux
Doit offrir à l’oreille et reculer des yeux.
 
Que le trouble toujours croissant de scène en scène,
À son comble arrivé se débrouille sans peine.
L’esprit ne se sent point plus vivement frappé
Que lorsqu’en un sujet d’intrigue enveloppé,
D’un secret tout à coup la vérité connue
Change tout, donne à tout une face imprévue.
 
La tragédie, informe et grossière en naissant,
N’était qu’un simple chœur, où chacun, en dansant,
Et du dieu des raisins entonnant les louanges,
S’efforçait d’attirer de fertiles vendanges.
Là, le vin et la joie éveillant les esprits,
Du plus habile chantre un bouc était le prix.
THESPIS fut le premier qui, barbouillé de lie,
Promena dans les bourgs cette heureuse folie ;
Et, d’acteurs mal ornés chargeant un tombereau,
Amusa les passants d’un spectacle nouveau.
ESCHYLE dans le chœur jeta les personnages,
D’un masque plus honnête habilla les visages,
Sur les ais d’un théâtre en public exhaussé,
Fit paraître l’acteur d’un brodequin chaussé.
SOPHOCLE enfin, donnant l’essor à son génie,
Accrut encor la pompe, augmenta l’harmonie,
Intéressa le chœur dans toute l’action,
Des vers trop raboteux polit l’expression,
Lui donna chez les Grecs cette hauteur divine
Où jamais n’atteignit la faiblesse latine.
 
Chez nos dévots aïeux le théâtre abhorré
Fut longtemps dans la France un plaisir ignoré.
De pèlerins, dit-on, une troupe grossière,
En public, à Paris, y monta la première ;
Et, sottement zélée en sa simplicité,
Joua les Saints, la Vierge et Dieu, par piété.
Le savoir, à la fin dissipant l’ignorance,
Fit voir de ce projet la dévote imprudence.
On chassa ces docteurs prêchant sans mission :
On vit renaître Hector, Andromaque, Ilion.
Seulement, les acteurs laissant le masque antique,
Le violon tint lieu de chœur et de musique.
 
Bientôt l’amour, fertile en tendres sentiments,
S’empara du théâtre ainsi que des romans.
De cette passion la sensible peinture
Est pour aller au cœur la route la plus sûre.
Peignez donc, j’y consens, les héros amoureux ;
Mais ne m’en formez pas des bergers doucereux :
Qu’Achille aime autrement que Tircis et Philène ;
N’allez pas d’un Cyrus nous faire un Artamène ;
Et que l’amour, souvent de remords combattu,
Paraisse une faiblesse et non une vertu.
 
Des héros de roman fuyez les petitesses
Toutefois, aux grands cœurs donnez quelques faiblesses.
Achille déplairait, moins bouillant et moins prompt :
J’aime à lui voir verser des pleurs pour un affront.
À ces petits défauts marqués dans sa peinture,
L’esprit avec plaisir reconnaît la nature.
Qu’il soit sur ce modèle en vos écrits tracé :
Qu’Agamemnon soit fier, superbe, intéressé ;
Que pour ses dieux Énée ait un respect austère.
Conservez à chacun son propre caractère.
Des siècles, des pays, étudiez les mœurs
Les climats font souvent les diverses humeurs.
 
Gardez donc de donner, ainsi que dans Clélie,
L’air, ni l’esprit français à l’antique Italie ;
Et, sous des noms romains faisant notre portrait,
Peindre Caton galant, et Brutus dameret.
Dans un roman frivole aisément tout s’excuse ;
C’est assez qu’en courant la fiction amuse ;
Trop de rigueur alors serait hors de saison :
Mais la scène demande une exacte raison.
L’étroite bienséance y veut être gardée.
 
D’un nouveau personnage inventez-vous l’idée ?
Qu’en tout avec soi-même il se montre d’accord,
Et qu’il soit jusqu’au bout tel qu’on l’a vu d’abord.
 
Souvent, sans y penser, un écrivain qui s’aime
Forme tous ses héros semblables à soi-même :
Tout a l’humeur gasconne en un auteur gascon ;
CALPRENÈDE et JUBA parlent du même ton.
La nature est en nous plus diverse et plus sage ;
Chaque passion parle un différent langage :
La colère est superbe et veut des mots altiers,
L’abattement s’explique en des termes moins fiers.
Que, devant Troie en flamme, Hécube désolée
Ne vienne pas pousser une plainte ampoulée,
Ni sans raison décrire en quel affreux pays
« Par sept bouches l’Euxin reçoit le Tanaïs ».
Tous ces pompeux amas d’expressions frivoles
Sont d’un déclamateur amoureux des paroles.
Il faut dans la douleur que vous vous abaissiez.
Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez.
Ces grands mots dont alors l’acteur emplit sa bouche
Ne partent point d’un cœur que sa misère touche.
 
Le théâtre, fertile en censeurs pointilleux,
Chez nous pour se produire est un champ périlleux.
Un auteur n’y fait pas de faciles conquêtes ;
Il trouve à le siffler des bouches toujours prêtes.
Chacun le peut traiter de fat et d’ignorant ;
C’est un droit qu’à la porte on achète en entrant.
Il faut qu’en cent façons, pour plaire, il se replie ;
Que tantôt il s’élève, et tantôt s’humilie ;
Qu’en nobles sentiments il soit partout fécond ;
Qu’il soit aisé, solide, agréable, profond ;
Que de traits surprenants sans cesse il nous réveille ;
Qu’il coure dans ses vers de merveille en merveille ;
Et que tout ce qu’il dit, facile à retenir,
De son ouvrage en nous laisse un long souvenir.
Ainsi la Tragédie agit, marche et s’explique.
 
D’un air plus grand encor la Poésie épique,
Dans le vaste récit d’une longue action,
Se soutient par la fable et vit de fiction.
Là, pour nous enchanter, tout est mis en usage ;
Tout prend un corps, une âme, un esprit, un visage.
Chaque vertu devient une divinité :
Minerve est la prudence, et Vénus la beauté ;
Ce n’est plus la vapeur, qui produit le tonnerre,
C’est Jupiter armé pour effrayer la terre ;
Un orage terrible aux yeux des matelots,
C’est Neptune en courroux qui gourmande les flots ;
Écho n’est plus un son qui dans l’air retentisse,
C’est une nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse.
Ainsi, dans cet amas de nobles fictions,
Le poète s’égaye en mille inventions,
Orne, élève, embellit, agrandit toutes choses,
Et trouve sous sa main des fleurs toujours écloses.
Qu’Énée et ses vaisseaux, par le vent écartés,
Soient aux bords africains d’un orage emportés ;
Ce n’est qu’une aventure ordinaire et commune,
Qu’un coup peu surprenant des traits de la fortune.
Mais que Junon, constante en son aversion,
Poursuive sur les flots les restes d’Ilion ;
Qu’Éole, en sa faveur, les chassant d’Italie,
Ouvre aux vents mutinés les prisons d’Éolie ;
Que Neptune en courroux, s’élevant sur la mer,
D’un mot calme les flots, mette la paix dans l’air,
Délivre les vaisseaux, des Syrtes les arrache,
C’est là ce qui surprend, frappe, saisit, attache.
Sans tous ces ornements le vers tombe en langueur,
La poésie est morte ou rampe sans vigueur ;
Le poète n’est plus qu’un orateur timide,
Qu’un froid historien d’une fable insipide.
 
C’est donc bien vainement que nos auteurs déçus,
Bannissant de leurs vers ces ornements reçus,
Pensent faire agir Dieu, ses saints et ses prophètes,
Comme ces dieux éclos du cerveau des poètes ;
Mettent à chaque pas le lecteur en enfer,
N’offrent rien qu’Astaroth, Belzébuth, Lucifer...
De la foi d’un chrétien les mystères terribles
D’ornements égayés ne sont point susceptibles :
L’Évangile à l’esprit n’offre de tous côtés
Que pénitence à faire, et tourments mérités ;
Et de vos fictions le mélange coupable
Même à ses vérités donne l’air de la fable.
 
Et quel objet, enfin, à présenter aux yeux
Que le diable toujours hurlant contre les Cieux,
Qui de votre héros veut rabaisser la gloire,
Et souvent avec Dieu balance la victoire !
 
LE TASSE, dira-t-on, l’a fait avec succès.
Je ne veux point ici lui faire son procès :
Mais, quoi que notre siècle à sa gloire publie,
Il n’eût point de son livre illustré l’Italie,
Si son sage héros, toujours en oraison,
N’eût fait que mettre enfin Satan à la raison ;
Et si Renaud, Argant, Tancrède et sa maîtresse
N’eussent de son sujet égayé la tristesse.
 
Ce n’est que pas j’approuve, en un sujet chrétien,
Un auteur follement idolâtre et païen.
Mais, dans une profane et riante peinture,
De n’oser de la fable employer la figure ;
De chasser les Tritons de l’empire des eaux ;
D’ôter à Pan sa flûte, aux Parques leurs ciseaux ;
D’empêcher que Caron, dans la fatale barque,
Ainsi que le berger ne passe le monarque :
C’est d’un scrupule vain s’alarmer sottement,
Et vouloir aux lecteurs plaire sans agrément.
Bientôt ils défendront de peindre la Prudence,
De donner à Thémis ni bandeau ni balance,
De figurer aux yeux la Guerre au front d’airain,
Ou le Temps qui s’enfuit une horloge à la main ;
Et partout, des discours, comme une idolâtrie,
Dans leur faux zèle iront chasser l’allégorie.
Laissons-les s’applaudir de leur pieuse erreur ;
Mais pour nous, bannissons une vaine terreur,
Et, fabuleux chrétiens, n’allons point, dans nos songes,
Du Dieu de vérité faire un dieu de mensonges.
 
La fable offre à l’esprit mille agréments divers ;
Là tous les noms heureux semblent nés pour les vers,
Ulysse, Agamemnon, Oreste, Idoménée,
Hélène, Ménélas, Pâris, Hector, Ênée...
Ô le plaisant projet d’un poète ignorant,
Qui de tant de héros va choisir Childebrand !
D’un seul nom quelquefois le son dur ou bizarre
Rend un poème entier ou burlesque ou barbare.
 
Voulez-vous longtemps plaire et jamais ne lasser ?
Faites choix d’un héros propre à m’intéresser,
En valeur éclatant, en vertus magnifique :
Qu’en lui, jusqu’aux défauts, tout se montre héroïque ;
Que ses faits surprenants soient dignes d’être ouïs ;
Qu’il soit tel que César, Alexandre ou Louis,
Non tel que Polynice et son perfide frère :
On s’ennuie aux exploits d’un conquérant vulgaire.
N’offrez point un sujet d’incidents trop chargé.
Le seul courroux d’Achille, avec art ménagé,
Remplit abondamment une Iliade entière :
Souvent trop d’abondance appauvrit la matière.
 
Soyez vif et pressé dans vos narrations ;
Soyez riche et pompeux dans vos descriptions.
C’est là qu’il faut des vers étaler l’élégance ;
N’y présentez jamais de basse circonstance.
N’imitez pas ce fou qui, décrivant les mers,
Et peignant, au milieu de leurs flots entrouverts,
L’Hébreu sauvé du joug de ses injustes maîtres,
Met, pour le voir passer, les poissons aux fenêtres ;
Peint le petit enfant qui « va, saute, revient,
Et joyeux, à sa mère offre un caillou qu’il tient ».
Sur de trop vains objets c’est arrêter la vue.
Donnez à votre ouvrage une juste étendue.
 
Que le début soit simple et n’ait rien d’affecté.
N’allez pas dès l’abord, sur Pégase monté,
Crier à vos lecteurs, d’une voix de tonnerre
« Je chante le vainqueur des vainqueurs de la terre. »
Que produira l’auteur, après tous ces grands cris ?
La montagne en travail enfante une souris.
Oh ! que j’aime bien mieux cet auteur plein d’adresse
Qui, sans faire d’abord de si haute promesse,
Me dit d’un ton aisé, doux, simple, harmonieux :
« Je chante les combats, et cet homme pieux
Qui, des bords phrygiens conduit dans l’Ausonie,
Le premier aborda les champs de Lavinie ! »
Sa Muse en arrivant ne met pas tout en feu,
Et, pour donner beaucoup, ne nous promet que peu ;
Bientôt vous la verrez, prodiguant les miracles,
Du destin des Latins prononcer les oracles,
De Styx et d’Achéron peindre les noirs torrents
Et déjà les Césars dans l’Élysée errants.
 
De figures sans nombre égarez votre ouvrage ;
Que tout y fasse aux yeux une riante image :
On peut être à la fois et pompeux et plaisant ;
Et je hais un sublime ennuyeux et pesant.
J’aime mieux Arioste et ses fables comiques
Que ces auteurs, toujours froids et mélancoliques,
Qui, dans leur sombre humeur, se croiraient faire affront
Si les Grâces jamais leur déridaient le front.
 
On dirait que pour plaire, instruit par la nature,
Homère ait à Vénus dérobé sa ceinture.
Sort livre est d’agréments un fertile trésor :
Tout ce qu’il a touché se convertit en or ;
Tout reçoit dans ses mains une nouvelle grâce ;
Partout il divertit et jamais il ne lasse.
Une heureuse chaleur anime ses discours ;
Il ne s’égare point en de trop longs détours.
Sans garder dans ses vers un ordre méthodique,
Son sujet, de soi-même, et s’arrange et s’explique ;
Tout, sans faire d’apprêts, s’y prépare aisément ;
Chaque vers, chaque mot court à l’évènement.
Aimez donc ses écrits, mais d’un amour sincère ;
C’est avoir profité que de savoir s’y plaire.
 
Un poème excellent, où tout marche et se suit,
N’est pas de ces travaux qu’un caprice produit :
Il veut du temps, des soins ; et ce pénible ouvrage
Jamais d’un écolier ne fut l’apprentissage.
Mais souvent parmi nous un poète sans art,
Qu’un beau feu quelquefois échauffa par hasard,
Enflant d’un vain orgueil son esprit chimérique,
Fièrement prend en main la trompette héroïque.
Sa muse déréglée, en ses vers vagabonds,
Ne s’élève jamais que par sauts et par bonds ;
Et son feu, dépourvu de sens et de lecture,
S’éteint à chaque pas, faute de nourriture.
Mais en vain le public, prompt à le mépriser,
De son mérite faux le veut désabuser ;
Lui-même, applaudissant à son maigre génie,
Se donne par ses mains l’encens qu’on lui dénie ;
VIRGILE, au prix de lui, n’a point d’invention ;
HOMÈRE n’entend point la noble fiction...
Si contre cet arrêt le siècle se rebelle,
À la postérité d’abord il en appelle,
Mais, attendant qu’ici le bon sens de retour
Ramène triomphants ses ouvrages au jour,
Leurs tas, au magasin, cachés à la lumière,
Combattent tristement les vers et la poussière.
Laissons-les donc entre eux s’escrimer en repos,
Et, sans nous égarer, suivons notre propos.
 
Des succès fortunés du spectacle tragique,
Dans Athènes naquit la Comédie antique.
Là le Grec, né moqueur, par mille jeux plaisants,
Distilla le venin de ses traits médisants.
Aux accès insolents d’une bouffonne joie
La sagesse, l’esprit, l’honneur furent en proie.
On vit par le public un poète avoué
S’enrichir aux dépens du mérite joué ;
Et Socrate par lui, dans « un chœur de Nuées »,
D’un vil amas de peuple attirer les huées.
Enfin, de la licence on arrêta le cours :
Le magistrat, des lois emprunta le secours,
Et, rendant par édit les poètes plus sages,
Défendit de marquer les noms et les visages.
Le théâtre perdit son antique fureur ;
la comédie apprit à rire sans aigreur,
Sans fiel et sans venin sut instruire et reprendre,
Et plut innocemment dans les vers de MÉNANDRE.
Chacun, peint avec art dans ce nouveau miroir,
S’y vit avec plaisir, ou crut ne s’y point voir :
L’avare, des premiers, rit du tableau fidèle
D’un avare souvent tracé sur son modèle ;
Et mille fois un fat, finement exprimé,
Méconnut le portrait sur lui-même formé.
 
Que la nature donc soit votre étude unique,
Auteurs qui prétendez aux honneurs du comique.
Quiconque voit bien l’homme et, d’un esprit profond,
De tant de cœurs cachés a pénétré le fond ;
Qui sait bien ce que c’est qu’un prodigue, un avare,
Un honnête homme, un fat, un jaloux, un bizarre,
Sur une scène heureuse il peut les étaler,
Et les faire à nos yeux vivre, agir et parler.
Présentez-en partout les images naïves ;
Que chacun y soit peint des couleurs les plus vives.
La nature, féconde en bizarres portraits,
Dans chaque âme est marquée à de différents traits ;
Un geste la découvre, un rien la fait paraître :
Mais tout esprit n’a pas des yeux pour la connaître.
 
Le temps, qui change tout, change aussi nos humeurs ;
Chaque âge a ses plaisirs, son esprit et ses mœurs.
Un jeune homme, toujours bouillant dans ses caprices,
Est prompt à recevoir l’impression des vices ;
Est vain dans ses discours, volage en ses désirs,
Rétif à la censure, et fou dans les plaisirs.
 
L’âge viril, plus mûr, inspire un air plus sage,
Se pousse auprès des grands, s’intrigue, se ménage,
Contre les coups du sort songe à se maintenir,
Et loin dans le présent regarde l’avenir.
 
La vieillesse chagrine incessamment amasse ;
Garde, non pas pour soi, les trésors qu’elle entasse ;
Marche en tous ses desseins d’un pas lent et glacé ;
Toujours plaint le présent et vante le passé ;
Inhabile aux plaisirs, dont la jeunesse abuse,
Blâme en eux les douceurs que l’âge lui refuse.
 
Ne faites point parler vos acteurs au hasard,
Un vieillard en jeune homme, un jeune homme en vieillard.
 
Étudiez la cour et connaissez la ville :
L’une et l’autre est toujours en modèles fertile.
C’est par là que MOLIÈRE, illustrant ses écrits,
Peut-être de son art eût remporté le prix,
Si, moins ami du peuple, en ses doctes peintures,
Il n’eût point fait souvent grimacer ses figures,
Quitté, pour le bouffon, l’agréable et le fin,
Et sans honte à Térence allié Tabarin.
Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe,
Je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope.
Le comique, ennemi des soupirs et des pleurs,
N’admet point en ses vers de tragiques douleurs ;
Mais son emploi n’est pas d’aller, dans une place,
De mots sales et bas charmer la populace.
 
Il faut que ses acteurs badinent noblement ;
Que son nœud bien formé se dénoue aisément ;
Que l’action, marchant où la raison la guide,
Ne se perde jamais dans une scène vide ;
Que son style humble et doux se relève à propos ;
Que ses discours, partout fertiles en bons mots,
Soient pleins de passions finement maniées,
Et les scènes toujours l’une à l’autre liées.
Aux dépens du bon sens gardez de plaisanter :
Jamais de la nature il ne faut s’écarter.
Contemplez de quel air un père, dans Térence,
Vient d’un fils amoureux gourmander l’imprudence ;
De quel air cet amant écoute ses leçons
Et court chez sa maîtresse oublier ces chansons.
Ce n’est pas un portrait, une image semblable,
C’est un amant, un fils, un père véritable.
 
J’aime sur le théâtre un agréable auteur
Qui, sans se diffamer aux yeux du spectateur,
Plaît par la raison seule, et jamais ne la choque.
Mais, pour un faux plaisant, à grossière équivoque,
Qui pour me divertir n’a que la saleté,
Qu’il s’en aille, s’il veut, sur deux tréteaux monté,
Amusant le Pont-Neuf de ses sornettes fades,
Aux laquais assemblés jouer ses mascarades.
 

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