Antoine de Bertin

(1752-1790)

Les Amours

(1780)

Livre 1 +
Livre 2 +
Livre 3 ×
 

Antoine de Bertin

Les Amours, 1780


Les Jardins du Petit Trianon


 
          J’ai vu ce désert enchanté
      Dont le goût même a tracé la peinture ;
          J’ai vu ce jardin si vanté
Où l’art, en l’imitant, surpasse la nature.
      Ô trianon, puissiez-vous des hivers
Ne ressentir jamais les glaces rigoureuses !
Aimable trianon, que de transports divers
      Vous inspirez aux âmes amoureuses !
J’ai cru voir, en entrant sous vos ombrages verts,
          Le séjour des ombres heureuses.
Quel magique pouvoir de sites gracieux
A décoré soudain ces fertiles campagnes,
Et, dans un cadre étroit, pour le plaisir des yeux,
A creusé des vallons, élevé des montagnes,
      Disparaissez, fabuleuses retraites
      D’Alcinoüs et de Sémiramis,
      Prodiges nés du cerveau des poëtes,
Et dans leurs vers menteurs jusques à nous transmis !
      Disparaissez, monuments du génie,
Parcs, jardins immortels, que le nôtre a plantés.
De vos dehors pompeux l’exacte symétrie
Étonne vainement mes regards attristés.
      J’aime bien mieux ce désordre bizarre,
Et la variété de ces riches tableaux
Que disperse l’Anglais d’une main moins avare.
Du haut du belvéder mon œil au loin s’égare,
Et découvre les bois, la verdure et les flots.
Là, parmi des rochers de structure inégale,
Que Neptune a produits d’un coup de son trident,
Un torrent écumeux tombe, et roule en grondant,
Et bientôt lac tranquille au pied des monts s’étale.
Ce lac, ces monts sacrés, sont au dieu de Délos.
Voici le frais Hémus et le riant Ménale.
De ce nouveau Tempé le tortueux dédale
Sert d’asile à l’enfant qui règne dans Paphos.
          Ô vous, qui craignez son empire,
Fuyez, fuyez ; l’amour anime ces beaux lieux :
          Dans ce vallon délicieux
          C’est lui qu’avec l’air on respire.
De ces sentiers étroits la douce obscurité,
Ces trônes de gazon, cet antre solitaire,
Ces bosquets odorants qu’habite le mystère,
Tout parle de l’amour, tout peint la volupté.
      Sous des lilas, dont la tige penchée
      Du midi même amortit les chaleurs,
      Du haut des monts une source cachée
      Tombe en cascade, et fuit parmi les fleurs.
J’approche : quels objets ! l’herbe à demi couchée
Des débris d’un bouquet était encor jonchée ;
Et deux chiffres, plus loin sur le sable enlacés,
Par le souffle des vents n’étaient point effacés.
À cet aspect soudain, au murmure de l’onde,
Qui seul de ces déserts trouble la paix profonde,
    Je me sentis tout d’un coup pénétré
            D’une douce mélancolie ;
            Le souvenir de Catilie
Vint resserrer mon cœur de plaisirs enivré.
      Ah ! que ne puis-je, ô ma jeune maîtresse,
Parcourir avec toi ce fortuné séjour,
Et dans ces bois touffus, au gré de ma tendresse,
T’égarer doucement sur le soir d’un beau jour !
Dans les bois, dans les airs, sur le bord du rivage,
Les oiseaux, deux à deux, se baisent devant moi :
Seul ici, je languis dans un triste veuvage.
Faut-il sans toi fouler cette mousse sauvage ?
Dans ces détours secrets faut-il errer sans toi ?
          Vois ce ruisseau qui, dans sa pente
Mollement entraîné, murmure à petit bruit,
Se tait, murmure encor, se replie et serpente,
Va, revient, disparaît, plus loin brille et s’enfuit,
          Et, se jouant dans la prairie
          Parmi le trèfle et les roseaux,
Sépare à chaque instant ces bouquets d’arbrisseaux
Qu’un pont officieux à chaque instant marie.
Quel art a rassemblé tous ces hôtes divers,
Nourrissons transplantés des bouts de l’univers :
          La persicaire rembrunie
          En grappes suspendant ses fleurs ;
          Le tulipier de Virginie,
Étalant dans les airs les plus riches couleurs ;
Le catappas de l’Inde, orgueilleux de son ombre ;
L’érable précieux ; et le mélèse sombre,
          Qui nourrit les tendres douleurs ?
De cent buissons fleuris chaque route bordée
Conduit obliquement à des bosquets nouveaux.
L’écorce où pend la cire, et l’arbre de Judée,
Le cèdre même y croît au milieu des ormeaux ;
Le cytise fragile y boit une onde pure ;
Et le chêne étranger, sur des lits de verdure,
Ploie en dais arrondi ses flexibles rameaux.
Ô champs aimés de Flore ! ô douce promenade !
Que vous flattez mon cœur, mon esprit et mes yeux !
Ô champs aimés de Flore, ô douce promenade,
Oui, vous êtes l’asile et l’ouvrage des Dieux ;
      Mais, à travers ces bois religieux,
          Quelle élégante colonnade
En marbre blanchissant s’élève dans les cieux ?
C’est le temple d’Amour ; c’est l’enceinte sacrée
Que réserve à son fils la reine de ces lieux.
Deux saules chevelus en défendent l’entrée
          À tout mortel audacieux.
De l’enfant sur l’autel respire la statue.
C’est lui-même : on le voit, foulant un bouclier,
Et le casque d’Alcide et sa lance rompue,
Courber en arc poli sa noueuse massue,
Et d’un souris malin déjà nous défier.
          À l’approche du sanctuaire,
          Saisi d’un tremblement heureux,
Trois fois du marbre saint j’ai baisé la poussière,
Et fait fumer trois fois un encens précieux :
          Puis, couronnant ses beaux cheveux
          D’un feston de myrte et de lierre,
Aux pieds du dieu charmant j’ai déposé mes vœux,
          Et fait tout bas cette prière :
          « Amour, amour, éternise mes feux,
          « Conserve-moi le cœur de Catilie ;
          « Fais qu’elle soit toujours belle à mes yeux,
          « Et que je meure avant que je l’oublie ! »
 

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