Antoine de Bertin

(1752-1790)

Les Amours

(1780)

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Antoine de Bertin

Les Amours, 1780


À Eucharis


 
Que me sert aujourd’hui, dans des nuits plus heureuses,
D’avoir su te former aux combats de Vénus ?
Que me sert, en pressant tes lèvres amoureuses,
De t’avoir révélé des secrets inconnus ?
Je suis victime hélas ! de ma propre science :
Moi-même, à me trahir, j’instruisis ta beauté.
Que je dois regretter ton aimable ignorance,
Ta craintive pudeur, et ta simplicité !
Quand ton cœur autrefois couronna ma tendresse,
Tes mains savaient à peine agiter des verroux :
Je t’appris, le premier, par quelle heureuse adresse
On peut, en les tournant, échapper aux jaloux ;
Je t’appris l’art, si cher à la jeune maîtresse,
D’écarter de son lit un odieux époux ;
Malheureux ! en un mot, je t’appris comme on aime.
Ton orgueil s’enrichit de mes rares secrets.
Du suc brillant des fleurs j’embellis tes attraits,
Et remis dans tes mains le fard de Vénus même.
Nulle amante bientôt ne sut mieux effacer
Le bleuâtre sillon, que sur un cou d’albâtre
Imprime de ses dents un amant idolâtre,
Et ces doux souvenirs qu’on se plaît à tracer.
Quel prix de tant de soins a donc reçu ton maître ?
Un autre impunément jouit de mes leçons.
Le laboureur du moins recueille ses moissons,
Et goûte en paix les fruits que ses mains ont fait naître.
Un autre, un autre... Ô ciel ! conçois-tu mes soupçons ?
Conçois-tu les fureurs de mon âme offensée ?
Oui, je te vois, ingrate ; et ma triste pensée
Se figure déjà de combien de façons
Le barbare te tient, sans pudeur, embrassée.
Peux-tu me préférer ce rival orgueilleux,
Vil suivant de Plutus que l’intérêt dévore,
Et dont l’instinct grossier préfère à tes beaux yeux
Ces trésors criminels qu’aux bornes de l’aurore
A cachés vainement la prudence des Dieux ?
Oses-tu bien presser de tes mains caressantes
Ce cœur inexorable, aux travaux endurci,
Qui trois et quatre fois, sous un ciel obscurci,
N’a pas craint d’affronter les deux mers frémissantes,
Et des chiens de Scylla les clameurs gémissantes,
Et ces gouffres profonds tournoyants sous ses pas ?
Penses-tu qu’amoureux de son doux esclavage,
Désormais il renonce à quitter le rivage ?
On dit que l’inhumain, méprisant tes appas,
Déjà prêt à partir sur la foi d’une étoile,
Redemande des vents, fait déployer la voile,
Et de ton lit oiseux veut courir au trépas.
Que je plains ta douleur, amante infortunée !
Combien tu pleureras ton fol égarement !
Malgré ton crime, hélas ! de plaisirs couronnée,
Puisses-tu ne jamais connaître le tourment
D’aimer comme je t’aime, et d’être abandonnée !
 

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