Ô marâtre nature (et marâtre es-tu bien,
De ne m’avoir plus sage ou plus heureux fait naître),
Pourquoi ne m’as-tu fait de moi-même le maître,
Pour suivre ma raison et vivre du tout mien ?
Je vois les deux chemins, et de mal, et de bien :
Je sais que la vertu m’appelle à la main dextre,
Et toutefois il faut que je tourne à senestre,
Pour suivre un traître espoir, qui m’a fait du tout sien.
Et quel profit en ai-je ? Ô belle récompense !
Je me suis consumé d’une vaine dépense,
Et n’ai fait autre acquêt que de mal et d’ennui.
L’étranger recueillit le fruit de mon service,
Je travaille mon corps d’un indigne exercice,
Et porte sur mon front la vergogne d’autrui.
Le passé, l’avenir, les discerne-t-il bien ?
Peut-il encourager l’enfant qui vient de naître ?
Un dieu, bien trop souvent, veut passer pour un maître,
Mais la causalité le piège dans ses liens.
Or, un dieu sans pouvoir, peut-être, est mieux que rien.
C’est avec cet espoir qu’ont grandi nos ancêtres,
Croyant sous le regard d’un gentil berger paître;
Pleins de fidélité, comme le sont les chiens.
Avec de beaux récits, les dieux te récompensent,
Mais ne fais point pour eux d’inutiles dépenses,
Et ne t’en prends qu’à toi,si tu as des ennuis.
La nature, en effet, n’est pas à ton service ;
On ne la séduit pas au gré des sacrifices,
Mais il nous est permis d’en être un peu séduits.