Je hais plus que la mort un jeune casanier,
Qui ne sort jamais hors, sinon aux jours de fête,
Et craignant plus le jour qu’une sauvage bête,
Se fait en sa maison lui-même prisonnier.
Mais je ne puis aimer un vieillard voyager,
Qui court deçà delà, et jamais ne s’arrête,
Ains des pieds moins léger que léger de la tête,
Ne séjourne jamais non plus qu’un messager.
L’un sans se travailler en sûreté demeure,
L’autre, qui n’a repos jusques à tant qu’il meure,
Traverse nuit et jour mille lieux dangereux :
L’un passe riche et sot heureusement sa vie,
L’autre, plus souffreteux qu’un pauvre qui mendie,
S’acquiert en voyageant un savoir malheureux.
Ici est un ours d’or, monarque casanier,
De relire une fable est sa plus grande fête ;
Mais elle n’a pas tort, cette sauvage bête,
D’apprendre à supporter la vie d’un prisonnier.
Au printemps de son âge, il aimait voyager,
Mais il vient une époque où sage est qui s’arrête,
Ne pouvant faire aller ni les pieds, ni la tête,
Et devant s’en remettre à quelques messagers.
Qui se change en ermite, en sûreté demeure,
Si ses désirs anciens presque jamais ne meurent,
Au cours de la vieillesse, ils sont moins dangereux :
L’ours royal le sait bien, fugitive est sa vie,
Sagesse en fin de cours nous est souvent ravie ;
Or, quand on n’en a plus, n’est-on pas plus heureux. ?