Victor de Laprade


Bouquet d’Automne


 
 

I — ADIEU, JARDIN !


 
Voici l’automne, adieu les fleurs !
Que faire en un jardin sans roses,
Où sifflent des vents querelleurs ?
Restons au logis, portes closes ;
Voici l’automne, adieu les fleurs !
 
Voici l’automne, adieu les fleurs !
La terre en vain cherche à sourire ;
Les soleils sont froids et railleurs,
Les cœurs n’ont plus rien à se dire.
Voici l’automne, adieu les fleurs !
 
Voici l’hiver, vendange est faite ;
Cuve et pressoir vont s’épuiser.
L’ivresse est au bout de la fête.
Plus un raisin, plus un baiser !
Voici l’hiver, vendange est faite.
 
Voici l’hiver, vendange est faite.
Le givre a blanchi nos buissons ;
Du chêne il effeuille la tête ;
Plus de nids et plus de chansons!
Voici l’hiver, vendange est faite.
 
Eh bien ! adieu, vigne et forêt,
Jardin sans fleurs, soleil sans flamme !
Rentrons dans l’asile secret,
Et visitons enfin notre âme.
Adieu, jardin, vigne et forêt !
 
Adieu, jardin, vigne et forêt !
J’aperçois dans un monde immense,
Où la nature disparaît,
Tout un printemps qui recommence.
Adieu, jardin, vigne et forêt!
 
 
 

II — LE MOIS DES MORTS.


 
Novembre a mis, comme un suaire,
Sa longue robe de brouillards ;
Le soleil, dans les cieux blafards,
Semble une lampe mortuaire.
 
Les feuilles pendent en haillons
Au noir squelette de la vigne,
Et là-bas fument les sillons
Près de ces tombes qu’on aligne.
 
Le semeur, en grand appareil,
Donne au champ la façon dernière ;
Comme un mort promis au réveil,
Le grain est couché sous la terre.
 
Mais rien ne parle encor d’espoir ;
Tout s’endort et tout se recueille.
Il n’est resté ni fleur ni feuille ;
La terre est grise, le ciel noir.
 
Connais-tu ces buissons moroses ?
C’est l’aubépine et l’églantier.
Où sont les roses du sentier
Et les mains qui cueillaient ces roses ?
 
Dans ces prés ne retourne pas ;
Le bois mort que le vent y sème,
Avec la trace de vos pas,
A caché le sentier lui-même.
 
Tu peux marcher jusqu’à la nuit,
Tu seras seul avec ton livre :
On refuse, hélas ! de te suivre
Où jadis on t’avait conduit.
 
Tu n’aurais là d’autre cortège
Qu’oiseaux noirs et loups aux abois ;
L’hiver a changé dans les bois
Vos lits de mousse en lits de neige.
 
Voici l’heure où le souvenir
Peuple seul la forêt discrète ;
Sans y troubler aucune fête,
Les morts peuvent y revenir.
 
Au bord des étangs et des chaumes,
À l’abri dans les chemins creux,
Tu peux converser avec eux ;
Suis pas à pas ces chers fantômes.
 
Ils te ramènent par la main
Dans ce passé que l’on t’envie,
Où les lambeaux de votre vie
Pendent aux buissons du chemin.
 
Qu’ont-ils fait de leurs premiers charmes,
Ces jardins aux vives couleurs,
Où l’on récolte moins de fleurs,
Hélas ! qu’on n’y sème de larmes ?
 
Voici les berceaux familiers
Où, dans la mousse et les pervenches,
Les baisers chantaient par milliers,
Comme les oiseaux sur les branches.
 
Mais ces arbres et ces soleils,
S’ils t’ont prêté l’ombre et la flamme,
S’ils t’ont donné leurs fruits vermeils,
Ont pris tous des parts de ton âme.
 
Tu la jetais à tous les vents,
Pour un mot, pour un regard tendre...
Mais viens, et les morts vont te rendre
Ce qu’ont emporté les vivans ;
 
Car là-haut, sur les mêmes grèves,
Dans ces astres peuplés d’esprits,
Flottent à la fois les débris
Et les germes de tous nos rêves.
 
Là-haut, dans l’immatériel,
Tout va perdre et retrouver l’être ;
Quand les morts descendent du ciel,
C’est pour nous aider à renaître.
 
Pur de désirs et de remords,
Fais donc, sans terreurs insensées,
La moisson d’austères pensées
Qui se récolte au mois des morts.
 
 
 

III — LA PREMIÈRE NEIGE.


 
  Dans mon verger clos de buis,
                Où je puis
  Tout surveiller de ma chambre,
  Mes deux pommiers, — quel malheur ! —
                Sont en fleur...
  Et nous touchons à novembre.
 
  Un caprice, un faux réveil
                Du soleil
  Au printemps leur a fait croire,
  Et les fleurs imprudemment,
                Un moment,
  Ont blanchi l’écorce noire.
 
  Mes pêchers, mon grand souci,
                Vont ainsi
  Rougir dans la matinée,
  Et perdre à ce jeu trompeur,
                J’en ai peur,
  Leurs fruits de toute une année.
 
  Mais un vent souffle du nord,
                Âpre et fort,
  Et les avertit du piège.
  Tout mon jardin réservé
                Est sauvé !
  Voici la première neige !
 
  Tombe, ô neige, et tiens couverts
                Les blés verts,
  L’espoir des moissons prochaines ;
  Étends sur eux le duvet
                Qui revêt
  Déjà le front des vieux chênes !
 
  Viens marquer son dernier jour
                À l’amour ;
  Arrête une folle sève :
  S’il s’est trompé de saison,
                En prison
  Viens clore aussi mon doux rêve !
 
  Sur mes cheveux tu descends ;
                Je t’y sens,
  Ô neige, et je m’en étonne.
  Le soleil était si chaud !...
                Il le faut,
  Dis-moi bien que c’est l’automne.
 

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