Isaac Habert


Le portrait


 
Peintre, avant que d’oser portraire
Ma dame et de la contrefaire,
Élève ton esprit aux cieux,
Va là-haut apprendre des dieux
Et des déesses immortelles
Comme on peint les beautés plus belles,
Puis de ton délié pinceau,
Trace-moi dedans ce tableau
Cette beauté que tant je prise,
Et dont mon âme est tant éprise.
Sus donc, détrempe tes couleurs
Dans l’humeur tiède de mes pleurs,
Fais tout premier la belle tresse
À flocons d’or de ma maîtresse,
Que ses cheveux soient crêpelés,
Autour du front tords, annelés,
Laisse-les, si tu veux, descendre
En onde et sur son col s’épandre,
Si tu peux fais que dedans l’or
De son beau poil, l’on sente encor
L’odeur qu’a mise la nature
Dedans sa propre chevelure.
Fais qu’un nombre infini d’Amours
Y vole faisant mille tours,
Qu’à ses cheveux les uns s’attachent,
Les autres au-dedans se cachent,
Peins-moi la honte sur son front.
Près d’elle encore se verront
L’honneur, la chasteté, la gloire,
Fais que son front blanc comme ivoire
Rougisse peu, qu’il soit uni,
Sans nul sillon, tout aplani,
Qu’en polissure il soit semblable
Au luisant verre ou à la table
D’un beau marbre uniment lissé,
Ou au dos d’un fleuve glacé,
Ou tel qu’on voit l’azur de l’onde,
À l’heure que la mer profonde,
Sans vent dormante dans son lit,
Sa plaine liquide polit.
Fais son sourcil, et qu’il ressemble
Un arc d’ébène ; ne l’assemble
Avec l’autre ; qu’ils soient voûtés,
Et tout deux proprement entés
Sur ses yeux source de lumière,
Où ma pauvre âme est prisonnière.
Mais comment peindras-tu ses yeux ?
Peins-moi deux soleils gracieux,
Les seuls rois des cœurs et des âmes,
Tressaillant d’éclairs et de flammes
Où l’Amour recèle ses traits,
Ceux d’or dans celui plein d’attraits,
Ceux de plomb dedans le sévère ;
Pour Mars et l’autre pour sa mère.
Fais que ces deux soleils jumeaux
Surpassent les Astres plus beaux,
Que l’un soit doux, l’autre plein d’ire,
Voyant le doux qu’on puisse dire
Qu’il ne promet que joie au cœur,
L’autre que peine et que rigueur...
 

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