Marceline Desbordes-Valmore

Pauvres fleurs, 1839


À Monsieur A. L.


 
Vous demandez pourquoi je suis triste : à quels yeux
Voyez-vous aujourd’hui le sourire fidèle ?
Quand la foudre a croisé le vol de l’hirondelle,
Elle a peur et s’enferme avec ses tendres œufs.
 
Jugez s’ils sont éclos ! jugez si son haleine
Passe dans le duvet dont se recouvre à peine,
Leur petite âme nue et leur gosier chanteur,
Pressé d’aller aux cieux saluer leur auteur !
 
Et quand le plomb mortel fait trembler chaque feuille,
Et les nids et l’orchestre et les hymnes d’un bois ;
Jugez comme l’oiseau dont l’instinct se recueille,
Retient avec effort ses ailes et sa voix !
 
Enfin, si dans son arbre on voit bouger sa tête,
Si pour ne pas mourir il chante encor son cœur,
Poète ! étonnez-vous que l’humaine tempête,
Ait trempé tout ce chant d’une étrange douleur !
 
Sous quelques rameaux verts, jardin de ma fenêtre,
Ma seule terre à moi qui m’ait donné des fleurs,
Rêveuse aux doux parfums qu’avril laissait renaître,
J’ai vu d’un noir tableau se broyer les couleurs :
 
Quand le sang inondait cette ville éperdue,
Quand la tombe et le plomb balayant chaque rue,
Excitaient les sanglots des tocsins effrayés,
Quand le rouge incendie aux longs bras déployés,
Étreignait dans ses nœuds les enfants et les pères,
Refoulés sous leurs toits par les feux militaires,
J’étais là ! quand brisant les caveaux ébranlés,
Pressant d’un pied cruel les combles écroulés,
La mort disciplinée et savante au carnage,
Étouffait lâchement le vieillard, le jeune âge,
Et la mère en douleurs près d’un vierge berceau,
Dont les flancs refermés se changeaient en tombeau,
J’étais là : j’écoutais mourir la ville en flammes ;
J’assistais vive et morte au départ de ces âmes,
Que le plomb déchirait et séparait des corps,
Fête affreuse où tintaient de funèbres accords :
Les clochers haletants, les tambours et les balles ;
Les derniers cris du sang répandu sur les dalles ;
C’était hideux à voir : et toutefois mes yeux
Se collaient à la vitre et cherchaient par les cieux,
Si quelque âme visible en quittant sa demeure,
Planait sanglante encor sur ce monde qui pleure ;
J’écoutais si mon nom, vibrant dans quelque adieu,
N’excitait point ma vie à se sauver vers Dieu :
Mais le nid qui pleurait ! mais le soldat farouche,
Ilote, outrepassant son horrible devoir,
Tuant jusqu’à l’enfant qui regardait sans voir,
Et rougissant le lait encor chaud dans sa bouche...
Oh ! devinez pourquoi dans ces jours étouffants,
J’ai retenu mon vol aux cris de mes enfants :
Devinez ! devinez dans cette horreur suprême,
Pourquoi, libre de fuir sous le brûlant baptême,
Mon âme qui pliait dans mon corps à genoux,
Brava toutes ces morts qu’on inventait pour nous !
 
Savez-vous que c’est grand tout un peuple qui crie !
Savez-vous que c’est triste une ville meurtrie,
Appelant de ses sœurs la lointaine pitié,
Et cousant au linceul sa livide moitié,
Écrasée au galop de la guerre civile !
Savez-vous que c’est froid le linceul d’une ville !
Et qu’en nous revoyant debout sur quelques seuils
Nous n’avions plus d’accents pour lamenter nos deuils !
 
Écoutez, toutefois, le gracieux prodige,
Qui me parla de Dieu dans l’inhumain vertige ;
Écoutez ce qui reste en moi d’un chant perdu,
Succédant d’heure en heure au canon suspendu :
 
Lorsqu’après de longs bruits un lugubre silence,
Offrant de Pompéï la morne ressemblance,
Immobilisait l’âme aux bonds irrésolus ;
Quand Lyon semblait morte et ne respirait plus ;
 
Je ne sais à quel arbre, à quel mur solitaire,
Un rossignol caché, libre entre ciel et terre,
Prenant cette stupeur pour le calme d’un bois,
Exhalait sur la mort son innocente voix !
 
Je l’entendis sept jours au fond de ma prière ;
Seul requiem chanté sur le grand cimetière :
Puis, la bombe troua le mur mélodieux,
Et l’hymne épouvantée alla finir aux cieux !
 
Depuis, j’ai renfermé comme en leur chrysalide,
Mes ailes, qu’au départ il faut étendre encor,
Et l’oreille inclinée à votre hymne limpide,
Je laisse aller mon âme en ce plaintif accord.
 

Lyon, 1834.

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Rоnsаrd : Dе l’Élесtiоn dе sоn Sépulсrе

Βаudеlаirе : Lеs Ρlаintеs d’un Ιсаrе

Βаnvillе : À Αdоlphе Gаïffе

Du Ρеrrоn : «Αu bоrd tristеmеnt dоuх dеs еаuх...»

Βlаisе Сеndrаrs

Rоnsаrd : Dе l’Élесtiоn dе sоn Sépulсrе

Νuуsеmеnt : «Lе vаutоur аffаmé qui du viеil Ρrоméthéе...»

Lа Сеppèdе : «Сеpеndаnt lе sоlеil fоurnissаnt sа јоurnéе...»

Τоulеt : «Dаns lе silеnсiеuх аutоmnе...»

Μussеt : À Αlf. Τ. : «Qu’il еst dоuх d’êtrе аu mоndе, еt quеl biеn quе lа viе !...»

Vеrlаinе : «Lа mеr еst plus bеllе...»

Jасоb : Lе Dépаrt

☆ ☆ ☆ ☆

Lаfоrguе : Lе Sаnglоt univеrsеl

Сrоs : Ρituitе

Jаmmеs : Lа sаllе à mаngеr

Régniеr : Lа Lunе јаunе

Rоdеnbасh : «Αllеluiа ! Сlосhеs dе Ρâquеs !...»

Lаfоrguе : Соmplаintе d’un аutrе dimаnсhе

Vеrlаinе : Lе Dеrniеr Dizаin

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur L’Αbrеuvоir (Αutrаn)

De Сосhоnfuсius sur Lе Grаnd Αrbrе (Μérаt)

De Сосhоnfuсius sur «Jе vоudrаis êtrе аinsi соmmе un Ρеnthéе...» (Gоdаrd)

De Dаmе dе flаmmе sur Vеrlаinе

De Сurаrе- sur Sur l’Hélènе dе Gustаvе Μоrеаu (Lаfоrguе)

De Dаmе dе flаmmе sur Οisеаuх dе pаssаgе (Riсhеpin)

De Сurаrе- sur «Ιl n’еst riеn dе si bеаu соmmе Саlistе еst bеllе...» (Μаlhеrbе)

De Xi’аn sur Lе Gigоt (Ρоnсhоn)

De Jаdis sur «Lе Sоlеil l’аutrе јоur sе mit еntrе nоus dеuх...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «Qu’еst-се dе vоtrе viе ? unе bоutеillе mоllе...» (Сhаssignеt)

De Dаmе dе flаmmе sur À sоn lесtеur : «Lе vоilà сеt аutеur qui sаit pinсеr еt rirе...» (Dubоs)

De Yеаts sur Ρаul-Jеаn Τоulеt

De Ιо Kаnааn sur «Μаîtrеssе, quаnd је pеnsе аuх trаvеrsеs d’Αmоur...» (Rоnsаrd)

De Rоzès sur Μédесins (Siсаud)

De Dаmе dе flаmmе sur «Hélаs ! vоiсi lе јоur quе mоn mаîtrе оn еntеrrе...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «J’аdоrе lа bаnliеuе аvес sеs сhаmps еn friсhе...» (Соppéе)

De Rоzès sur Lе Сhеmin dе sаblе (Siсаud)

De Sеzоr sur «Jе vоudrаis biеn êtrе vеnt quеlquеfоis...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De KUΝG Lоuisе sur Villе dе Frаnсе (Régniеr)

De Xi’аn sur Jеhаn Riсtus

De Xi’аn sur «Épоuvаntаblе Νuit, qui tеs сhеvеuх nоirсis...» (Dеspоrtеs)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе