Émile Blémont

in Le Parnasse contemporain, III


La Chanson de Marthe


 
    Je dis pour les cœurs ingénus
    La chanson de Marthe aux pieds nus.
 
 
 

I


 
Marthe dès l’aube a quitté son aïeule ;
Marthe aux pieds nus est au bois toute seule.
 
    Les ailes vont le dire aux fleurs,
    Le matin bleu rit sous les pleurs.
 
Le fils du roi, sans meute et sans cortège,
Suit la ravine où l’acacia neige.
 
    Ailes et fleurs sont en émoi :
    Marthe est devant le fils du roi.
 
« Êtes-vous fée, ou sainte ayant chapelle ?
— Non, monseigneur, c’est Marthe qu’on m’appelle.
 
    La fauvette, l’œil en éveil,
    Écoute et se lisse au soleil.
 
Marthe, aimez-moi, je sens que je vous aime.
— Oh ! monseigneur, vous en ririez vous-même. »
 
    La tête d’un lézard surgit,
    La fraise dans l’herbe rougit.
 
« Croyez-vous donc mon amour éphémère ?
— Mon beau seigneur, j’en croirai ma grand-mère. »
 
    La petite bête à bon Dieu
    Vole et miroite, rouge et feu.
 
« Qu’un seul baiser, Marthe, ici nous engage !
— Mon cher seigneur, un seul, pas davantage ! »
 
    Sur la source, au bord du sentier,
    S’effeuille une fleur d’églantier.
 
« Marthe, à demain, au seuil de votre porte !
— Mon doux seigneur, le ciel vous fasse escorte ! »
 
    Est-ce un rêve ? Ô les tendres voix,
    Qui bercent l’âme au fond des bois !
 
 
 

II


 
Le lendemain, et toute la semaine,
Marthe attendit ; son attente fut vaine.
 
    Pourquoi les angélus du soir
    Sont-ils si clairs, quand fuit l’espoir ?
 
Marthe attendit un mois, un mois encore,
Et s’éveilla plus faible à chaque aurore.
 
    Qu’annoncent donc tous les matins
    Les gais angélus argentins ?
 
Marthe isolée, abattue et pâlie,
Espère encor, mais sent que c’est folie.
 
    L’automne endort les horizons ;
    Adieu les fleurs et les chansons !
 
Sur Marthe on jase, on chuchote, on s’exclame :
« Est-ce d’amour que cet enfant perd l’âme ? »
 
    L’hiver vient, l’hiver part ; soudain
    Le lilas fleurit au jardin.
 
Les jeunes gens de toute la vallée
Vont visiter la belle désolée.
 
    L’odeur des foins en fenaison
    Embaume de loin la maison.
 
Aucun galant, pas même le plus digne,
Du moindre accueil n’obtient le moindre signe.
 
    Dans les rameaux du grand pommier,
    Vole et se pose un blanc ramier.
 
Marthe se meurt ; une lueur étrange
Sous son front mat s’allume en ses yeux d’ange.
 
    Le crépuscule se fait gris ;
    Tourne, tourne, chauve-souris !
 
 
 

III



Mais des forêts soudain la brise apporte
Une fanfare et le bruit d’une escorte.
 
    Voici briller le soleil d’or ;
    Alouette, prends ton essor !
 
Sous le galop des chevaux le sol sonne
Le noble prince apparaît en personne.
 
    Dans les rouges coquelicots,
    Chante un coq, droit sur ses ergots.
 
Le noble prince au logis se présente ;
Il entre, il court : Marthe est agonisante.
 
    Sur le lis, que pendant la nuit
    Le vent brisa, tout le ciel luit.
 
« Chère âme, dit l’amant qui désespère,
J’ai donc trop tard fléchi le roi mon père ! »
 
    Une cloche tinte là-bas ;
    Est-ce la noce, est-ce le glas ?
 
Marthe sourit : « Puisque je meurs, dit-elle,
Marions-nous pour la vie immortelle ! »
 
    Azurs, rayons, brises, parfums,
    Ranimez les beaux jours défunts !
 
Le fiancé couronne l’enfant blême
Des diamants du royal diadème.
 
    Brises, rayons, parfums, azur,
    Rendez l’âme pure au ciel pur !
 
Le jour s’éteint, la mort étend ses voiles ;
Aux diamants se mêlent les étoiles.
 
    Des rameaux du pommier tremblant
    S’est envolé le ramier blanc.
 

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