Verhaeren

Les Campagnes hallucinées, 1893


Le Péché


 
Sur sa butte que le vent gifle,
Il tourne et fauche et ronfle et siffle,
Le vieux moulin des péchés vieux
Et des forfaits astucieux.
 
Il geint des pieds jusqu’à la tête,
Sur fond d’orage et de tempête,
Lorsque l’automne et les nuages
Frôlent son toit de leurs voyages.
 
Sur la campagne abandonnée
Il apparaît une araignée
Colossale, tissant ses toiles
Jusqu’aux étoiles.
 
C’est le moulin des vieux péchés.
Qui l’écoute, parmi les routes,
Entend battre le cœur du diable,
Dans sa carcasse insatiable.
 
Un travail d’ombre et de ténèbres
S’y fait, pendant les nuits funèbres
Quand la lune fendue
Gît là, sur le carreau de l’eau,
Comme une hostie atrocement mordue.
 
C’est le moulin de la ruine
Qui moud le mal et le répand aux champs
Infini, comme une bruine.
 
Ceux qui sournoisement écornent
Le champ voisin en déplaçant les bornes ;
Ceux qui, valets d’autrui, sèment l’ivraie
Au lieu de l’orge vraie ;
Ceux qui jettent les poisons verts dans l’eau
Où l’on amène le troupeau ;
Ceux qui, par les nuits seules,
En brasiers d’or font éclater les meules,
Tous passèrent par le moulin.
 
Encore :
 
Les vieux jeteurs de sorts et les sorcières
Que vont trouver les filles-mères ;
Ceux qui cachent dans les fourrés
 
Leurs ruts sinistrement vociférés ;
Ceux qui n’aiment la chair que si le sang
Gicle aux yeux, frais et luisant ;
Ceux qui s’entr’égorgent, à couteaux rouges,
Volets fermés, au fond des bouges :
Ceux qui scrutent l’espace
Avec, au bout du poing, la mort pour tel qui passe,
Tous passèrent par le moulin.
 
Aussi :
 
Les vagabonds qui habitent des fosses
Avec leurs filles qu’ils engrossent ;
Les fous qui choisissent des bêtes
Pour assouvir leur rage et ses tempêtes ;
Les mendiants qui déterrent les mortes
Atrocement et les emportent ;
Les couples noirs, pervers et vieux,
Qui instruisent l’enfant à coucher entre eux deux ;
Tous passèrent par le moulin.
 
Tous sont venus, sournoisement,
Choisissant l’heure et le moment,
Avec leurs chiens et leurs brouettes,
Et leurs ânes et leurs charrettes ;
Tous sont venus, jeunes et vieux,
Pour emporter jusque chez eux
Le mauvais grain, coûte que coûte ;
Et quand ils sont redescendus
Par les sentes du haut talus,
Les grand-routes charriaient toutes
Infiniment, comme des veines,
Le sang du mal, parmi les plaines.
 
Et le moulin tournait au fond des soirs
La croix grande de ses bras noirs,
Avec des feux, comme des yeux,
Dans l’orbite de ses lucarnes
Dont les rayons gagnaient les loins.
Parfois, s’illuminaient des coins,
Là-bas, dans la campagne morne,
Et l’on voyait les porteurs gourds,
Ployant au faix des péchés lourds,
Hagards et las, buter de borne en borne.
 

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