Philothée O’Neddy

(1811-1875)

Feu et Flamme

(1833)

Nuits ×
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Ρаndæmоnium

Nuit seconde

Νévrаlgiе

Nuit troisième

Rоdоmоntаdе

Nuit quatrième

Νéсrоpоlis

Nuit cinquième

Épisоdе

Nuit sixième

Suссubе

Nuit septième

Dаndуsmе

Nuit huitième

Érоs

Nuit neuvième

Ιnсаntаtiоn

Nuit dixième

Τrinité

Mosaïque +
 

Philothée O’Neddy

Feu et Flamme, 1833


Trinité


 

                            Lasciate ogni speranza...
Dante.


 

                            Beati pauperes spiritu...
Évangile.


 

 

I


 
Désireux que j’étais d’un songe bien morose,
J’avais pris, l’autre soir, une assez forte dose
D’opium. — Et d’abord, je vis un tournoiement
De grandes masses d’ombre... un bizarre ondoiement
De nuages moirés et fantasmagoriques,
De profils infernaux, de cadres phosphoriques.
Puis, tout ce vague essaim d’inertes visions
S’abîma dans le vide en muets tourbillons.
 
— De ce chaos naquit le drame de mon rêve. —
 
Dans un bois de l’Asie, au versant de la grève
D’un fleuve dont le cours s’allongeait indolent,
Je m’aventurais seul, rêveur et somnolent.
Un beau vieillard marcha droit à moi ; son costume
Était large et soyeux, comme c’est la coutume
Chez les Orientaux. Son front, dans sa hauteur,
Déployait un éclat sombre et divinateur.
Son œil noir, talisman de sympathique flamme,
Avait de ces regards qui vous transpercent l’âme.
Tout disait que, vieilli dans un art clandestin,
Sans peine il déchiffrait les pages du Destin.
 
 
 

II


 
— Mon fils ! me dit sa voix pompeuse et fatuaire,
Ton cœur des passions a bu l’électuaire.
De trois vastes désirs le groupe effervescent,
Comme un sombre simoun, tourbillonne en ton sang.
Je devine quels biens sauraient te satisfaire ;
Tu voudrais t’éjouir au sein d’une atmosphère
Qui distillât sur toi la triple volupté
De l’Amour, de la Gloire et de la Liberté.
 
Liberté ! Gloire ! Amour ! formidables génies,
À qui les fils de l’art doivent tant d’agonies !
Oh ! combien d’aspirants à vos parvis sacrés,
Repoussés de la nef, meurent sur les degrés !...
Et ceux devant lesquels vos portes s’ouvrent toutes,
Ceux pour qui chantent haut les orgues de vos voûtes,
Que vous leur vendez cher le triangle de feux
Dont vous glorifiez leur crâne sans cheveux ! — 
 
 
 

III


 
— Vieillard ! lui dis-je ému, si ta pensée austère
De mon âme profonde explore le cratère,
Sans doute ce pouvoir que tu reçus d’Allah,
Cette intuition ne se borne pas là.
Des choses à venir le plus condense arcane
Pour ton œil surhumain doit être diaphane.
Ta magie, est-ce pas, sait ravir au démon
Des charmes, des secrets dignes d’un Salomon.
Sorcier, mage, devin, j’implore ta puissance ;
Apprends-moi si les Dieux que mon orgueil encense,
De quelques diamants adorneront mes jours,
Ou si leur trinité me reniera toujours. —
 
 
 

IV


 
— Je le veux bien, mon fils ! Or donc, prends ce volume ;
L’oiseau Rock pour l’écrire a donné mainte plume.
Lis le premier verset. Si tu ne comprends pas,
Ne t’alarmes en rien ; car moi seul, ici-bas,
J’ai le don de trouver ce livre intelligible.
Pendant que tu liras, une force invisible
T’enlèvera de terre ; à l’entour de ton front,
Des murmures, des voix, des ailes bruiront.
Interdis à ta chair les frissons de la crainte.
Tu ne tarderas pas à voir le labyrinthe
Qui ceinture à longs plis le groupe radieux
Des trois temples de jaspe où règnent les trois Dieux.
 
Chacun de ses palais, devant son péristyle,
Présente un obélisque en bronze, œuvre de style
Assyrien, qui porte inscrits sur ses talus
Les noms des suppliants par le Génie élus.
 
 
 

V


 
J’embrassai le vieillard, et prenant le grimoire,
D’abord j’en admirai la dorure et la moire ;
Puis j’ouvris les feuillets, et je lus... Aussitôt
Un nuage bruyant me prit dans son manteau.
Je traversai l’éther d’un élan plus véloce
Que celui de la trombe, aérien molosse.
Peu à peu les démons ralentirent leur vol ;
Je vis le labyrinthe, et j’en touchai le sol.
 
 
 

VI


 
Sous un platane, au flanc d’une colline ardue,
Les trois temples païens surgirent à ma vue.
Ma première ferveur fut pour la Liberté.
Vers son portique blanc je courus exalté.
— N’attendez de ma phrase aucune fioriture
Sur les compartiments, le dôme et la sculpture
De l’édifice. — À peine y jetai-je un coup-d’œil. —
L’obélisque d’airain qui se dressait au seuil,
Absorba tout entier mon œil farouche et triste.
— Or, mon nom n’était pas sur la pompeuse liste. —
 
 
 

VII


 
Blême comme le roi des épouvantements,
Je m’arrêtai glacé ; mille pressentiments
De funèbre couleur en mon cerveau sourdirent ;
La Raison, la Sagesse à l’oreille me dirent :
« Pour jouer un tel jeu tu n’es pas assez fort.
Fuis ! tente sur toi-même un héroïque effort. »
Mais l’Orgueil me cria que je serais un lâche
Si je m’en retournais sans accomplir ma tâche.
Alors, sur mon visage, avec intensité
Je rappelai le calme et la sérénité ;
J’invoquai l’Espérance, et, m’efforçant d’y croire,
J’arrivai taciturne aux portes de la Gloire.
 
 
 

VIII


 
Mon œil interrogea l’obélisque divin
Sur sa quadruple face... En vain ! toujours en vain !
Pas de nom ! — Cette fois, ma douleur fut plus digne ;
Ma tête se drapa d’une ironie insigne :
Mon cœur bondit de rage, et, faisant le géant,
Se permit de traiter la gloire de néant.
Je pensai que l’Amour avait assez de palmes,
Assez de beaux festins, de solitudes calmes,
Pour me faire oublier, dans leur solennité,
Le dédain de la Gloire et de la Liberté.
Donc, je repris courage, et, d’un bond frénétique,
Je m’élançai devant le troisième portique.
 
 
 

IX


 
Mes frères en orgueil, vous tous dont les vingt ans
Ne font que de sonner à l’horloge du temps,
Vous, qui, francs contempteurs de ce siècle néfaste,
Voulez accidenter votre vie avec faste,
Et nourrissez tout bas l’immense ambition
D’unir à l’action la contemplation,
Dites, comprenez-vous quelle âpre névralgie
De ma sombre nature exaltait l’énergie,
Pendant que je jouais, bourrelé de remord,
Mon dernier coup de dé sur la table du sort ?...
 
 
 

X


 
Frères, là comme ailleurs, mon regard n’eut à lire
Que des noms étrangers ! — Pantelant de délire,
Je tirai mon poignard, et, de ma forte main,
Je ciselai mon nom sur le bronze inhumain ! —
Alors, pour châtier ce hardi sacrilège,
La théâtrale horreur d’un pompeux sortilège
M’enveloppa ; le ciel couvrit son pavillon
D’un drap noir que zébrait un sulfureux sillon,
Et, du creux d’un nuage, une voix dramatique
Laissa tomber ces mots, comme un oracle antique :
 
            Puisque Liberté, Gloire, Amour,
T’ont défendu l’accès de leurs temples sublimes ;
            Puisque, d’abîmes en abîmes,
Tes trois plans de bonheur ont roulé tour à tour ;
Prépare-toi, jeune homme, à descendre la pente
Qui mène au réceptacle où, sur un trépied noir,
Siège le démon pâle à la robe sanglante,
            Qu’on appelle le Désespoir !
 
 

1833

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